samedi 31 octobre 2015

A Fond de Cale (1967-1979)

Figure essentielle, artiste protéiforme, père du punk avec Lou, du post-rock avec Terry, instrumentiste multiple et doué, vocaliste ô combien sous-estimé, compositeur hors pair... Voici John Cale, un mec sur le cas duquel il n'est jamais inutile de revenir, présentement dans sa période 1967-1979. Enjoie !

ENTReZ DaNS La LéGeNDe
The Velvet Underground "The Velvet Underground & Nico (Remastered)" (1967)
ou "Banane Flamboyante"

Ho l'énorme classique que voici, la définition même de l'aeuvre qu'on se doit de ne pas manquer sous peine d'avoir un sacré manque dans sa culture musicale.
Déjà il y a la pochette, signée Warhol comme vous le savez tous, qui est aussi manager du groupe au moment de l'enregistrement, comme vous n'êtes pas sans l'ignorer, mais qui se fera virer pour n'avoir pas su dénicher le contrat permettant de révéler l'album au monde, parce que Lou Reed en avait marre, et que du coup Nico aussi prendra la porte pour ne garder que le quatuor dont aucun nom ne doit vous être étranger.
Parce que, donc, il fallut une petite éternité pour que The Velvet Underground & Nico trouve son label, il faut dire que l'œuvre est schizophrène. D'un côté vous avez les chansons douces où folk, pop, psychédélisme et accessibilité vont de pair, d'un autre les expérimentations garage ne démontrant pas la moindre volonté de compromission. Schizophrène donc, et pourtant, ou peut-être parce que, largement l'aeuvre d'un homme, Lou Reed, qui ne laisse que miettes de l'écriture à ses partenaires (Sunday Morning et The Black Angel's Death Song avec Cale, collectivement sur European Song) qui participent cependant largement à la "mise en chair" de la chose, Cale en particulier, arrangeur et multi-instrumentiste précieux qu'il est. L'influence de Warhol, mentor, manager, mécène, est plus délicate à définir, on sait qu'il fut présent lors de quasiment toutes les étapes, des répétitions à l'enregistrement sans oublier le mixage, ce qu'il y fit, lui qui est certainement un authentique artiste mais aucunement un musicien, sans doute mettre son grain de sel, glisser quelques judicieux conseils, spéculations...
Toujours est-il que le résultat est là, d'un tout tranquillou Sunday Morning, un beau rayon de soleil pop pour commencer, d'un proto-punk garage en mode junkie tragique (I'm Waiting for My Man), d'une excursion en terre indienne revue et corrigée et la sauce new-yorkaise via deux improbables ragas (Venus in Furs, Heroin), à du blues lo-fi psyché-noisy (Run Run Run et The Black Angels Death Song à vous faire passer le Eight Miles High des Byrds pour un chant grégorien), en passant par une espèce de Beatles garage (There She Goes Again) à une bonne grosse jam finale qui fait un boucan de tous les diables (et préfigure White Light/White Heat qui sortira quelques mois plus tard), sans, évidemment !, oublier les trois participations de la chanteuse (sic !) Nico (deux jolies chansons pop, Femme Fatale et I'll Be Your Mirror, à son raga à elle, All Tomorrow's Parties), la collection a du corps, de l'esprit si pas franchement de cohérence stylistique ou de mise en son. Mais il est là, aussi, le charme de ce premier opus, dans ce mélange d'un savoir-faire déjà bien affirmé et d'innocence juvénile, d'une volonté de couper le cordon avec la pop music d'un côté mais de continuer à en faire de l'autre. Schizo, quoi !
Et ça fait un essentiel, déjà parce qu'elle contient les premiers ébats ô combien intéressants de deux monstres sacrés, Reed et Cale, ensuite parce qu'on y a vraiment l'impression de plonger dans le New York avant-gardiste de cette seconde moitié des années 60. Un album beau, bizarre, épatant, étonnant... essentiel !

1. Sunday Morning 2:54
2. I'm Waiting for the Man 4:39
3. Femme Fatale 2:38
4. Venus in Furs 5:12
5. Run Run Run 4:22
6. All Tomorrow's Parties 6:00
7. Heroin 7:12
8. There She Goes Again 2:41
9. I'll Be Your Mirror 2:14
10. The Black Angel's Death Song 3:11
11. European Son 7:46

Lou Reed - lead vocals (1, 2, 4, 5, 7, 8, 10, 11), backing vocals (3), lead guitar (1-5, 7-11), ostrich guitar (4, 6)
Sterling Morrison - rhythm guitar (2, 5, 7, 8, 9), lead guitar (3, 10, 11) bass guitar (1, 4, 6), backing vocals (3, 5, 8)
John Cale - electric viola (1, 4, 6, 7, 10) piano (1, 2, 3, 6), bass guitar (2, 3, 5, 8, 9, 10, 11) backing vocals (8), celesta (1), hissing (10), sound effects (11)
Maureen Tucker - percussion (1, 3, 4, 7-11), drums (2, 5), tambourine (2, 6, 9), bass drum (6)
Nico - chanteuse (3, 6, 9), backing vocals (1)

THE VELVET UNDERGROUND

VeLouRS CHaoTiQue
The Velvet Underground "White Light White Heat (Deluxe Edition)" (1968)
ou "Noir c'est noir"

Au cas où on ne l'aurait pas compris avec leur premier album, White Light White Heat nous rappelle que le Velvet Underground n'est pas un groupe de rigolos. Mais là où l'album à la banane nous berçait encore doucement de quelques délicates mélopées, le présent brûlot, nous lamine de son radicalisme sans compromis.
Out Nico et Andy Warhol, les ventes désastreuses de The Velvet Underground & Nico ont détérioré les rapports entre le groupe et leur mentor. Et puis après tout, White Light/White Heat, conçu à partir d'improvisations de tournée est leur album à eux, un animal dangereux, urgent comme les courtes sessions qui l'enfanteront : 2 jours !
Présentement, captés par Tom Wilson (qui a travaillé avec Sun Ra, les Animals d'Eric Burdon, Zappa et ses Mothers of Invention ou Bob Dylan), ils laissent libre cours à leurs pulsions électriques les plus ravageuses pour un résultat qui ne l'est pas moins. Parce qu'il faut d'abord dompter la bête pour ensuite vraiment l'apprécier. Parce que cette déconstruction de rock'n'roll post-moderne ne se livre pas facilement, plus beauté cachée que cover girl.
Pourtant, le morceau d'ouverture, qui donne son titre à l'album, ne paye pas de mine, petit rock'n'roll juste un peu "garageux" sur les bords mais finalement digne héritier d'un Jerry Lee Lewis ou d'un Chuck Berry. The Gift, errance improvisée et psychédélique, propose un Cale récitant un texte de Lou Reed sur une histoire d'amant destroy décidant de s'envoyer par la poste à sa bien aimée (Lou y es-tu ?), c'est aussi le début du grand largage d'amarres avec le commun de la pop musique et une exemplaire réussite d'avant-gardisme distrayant, bravo ! Au moins aussi étrange, Lady Godiva's Operation est une sorte de droning psyche pop post-apocalyptique avec Cale au chant et le groupe tournant sur le même thème ne s'autorisant que de rares variations, et c'est étrange et étrangement attirant même quand les voix se mélangent, la musique décline et la bizarrerie augment. Une drôle de chanson. Here She Comes Now c'est un peu la version garage, lo-fi du gentil Velvet Underground du premier album, sauf que le chant de Lou Reed, la souplesse instrumentale et l'ambiance beatnik électrique l'entraîne vers d'autres terres, et nous avec.
On sait que le groupe fut mécontent de I Heard Her Call My Name où il essayèrent, sans succès selon eux, de capturer l'énergie live du morceau. C'est pourtant un beau déluge électrique avec les badaboums primaires et énervés de Maureen Tucker et la voix et la guitare de Lou Reed en mode pas content, et ce ne sont pas les quelques chaeurs qui viennent alléger l'ensemble... Une vraie furie ce titre ! Et puis vient le Gros Morceau, Sister Ray. 17 minutes captées live en studio en une seule et unique prise, qu'importent les maladresses et les fausses notes, un peu l'équivalent musical de l'écriture automatique chère à Kerouac, une folie ! Qui fonctionne parce qu'elle a la beauté de ces arts primitifs, parce qu'elle sait s'envoler en d'improbables crescendos, qui fonctionne aussi parce que le son du groupe y est si crument organique, y repousse, confond si radicalement les limites de la jam et du n'importe-quoi qu'on ne peut que fondre devant tant d'ingénuité et de cran. Marquant.
Et c'est fini. Et on en sort un peu rincé, parce que White Light/White Heat, ce n'est pas de l'easy listenning, mais définitivement content, certain d'avoir assisté à quelque chose d'unique, à une nouvelle définition, une nouvelle conception de la musique populaire pour jeunes gens de bon gout. Un quelque chose qui connaîtra des répliques, et des répliques (demandez voir au punks et à leurs descendants !), bref, important.
Deluxe Edition oblige, il y a du bonus à foison dans la présente édition, à commencer par deux outtakes des fameuses sessions, une version alternative de I Heard Her Call My Name et un inédit instrumental déjà croisé sur la compilation Another View (Guess I'm Falling in Love), toutes deux accessoires mais pas désagréable. On y retrouve aussi les extraits de deux sessions de février et mai 1968, les dernières de John Cale avec le VU, d'où ressortent Stéphanie Says et Temptation dans leurs mixes originaux et une early version vraiment inédite, la seule ici, de Beginning to See the Light de fort belle facture qui nous laisse songeur quand à ce que la suite de la carrière des new yorkais aurait pu donner avec leur ténébreux gallois.
Mais la fête n'est pas finie, loin de là, un live, enregistré le 30 avril 1967 au Gymnasium de New York, vient compléter la fête. Et quel live ! Déjà parce qu'il sonne diablement bien, mieux que tous les bootlegs et enregistrements plus ou moins officiels du Velvet Underground avec John Cale croisés de-ci de-là, ensuite parce que le groupe y délivre une prestation faite d'intensité et de talent à couper le souffle. C'est bien simple, à lui-seul, ce live justifie l'acquisition du coffret pourtant fort riche sinon avec, notamment, un texte fort intéressant narrant la genèse de l'aeuvre.
White/Light White Heat était déjà un album dont, fondamentalement, aucun amateur de rock intelligent ne pouvait se passer, c'est encore plus vrai avec cette édition anniversaire totalement renversante.

CD 1 (Stereo Version)
1. White Light/White Heat 2:48
2. The Gift 8:20
3. Lady Godiva's Operation 4:57
4. Here She Comes Now 2:05
5. I Heard Her Call My Name 4:38
6. Sister Ray 17:32
Bonus
7. I Heard Her Call My Name (Alternate Take) 4:39
8. Guess I'm Falling In Love (Instrumental Version) 3:34
9. Temptation Inside Your Heart (Original Mix) 2:33
10. Stephanie Says (Original Mix) 2:50
11. Hey Mr. Rain (Version One) 4:40
12. Hey Mr. Rain (Version Two) 5:24
13. Beginning To See The Light (Previously Unreleased Early Version) 3:39

CD 2 (Live At The Gymnasium, New York City, April 30, 1967)
1. Booker T. 6:46
2. I'm Not A Young Man Anymore 6:17
3. Guess I'm Falling In Love 4:10
4. I'm Waiting For My Man 5:28
5. Run Run Run 6:58
6. Sister Ray 19:03
7. The Gift 10:25

John Cale - vocals, electric viola, organ, bass guitar, medical sound effects on "Lady Godiva's Operation"
Sterling Morrison - vocals, guitar, bass guitar, medical sound effects on "Lady Godiva's Operation"
Lou Reed - vocals, guitar, piano
Maureen Tucker - drums, percussion

THE VELVET UNDERGROUND

GoNe SoLo
John Cale "Vintage Violence (Remastered)" (1970)
ou "Le velours déchiré"

Premier album solitaire d'un John Cale en rupture de ban avec ses camarades du Velvet Underground et première belle page d'une carrière féconde, Vintage Violence surprend.
Vintage Violence surprend parce que le gallois y propose une musique apaisée, pop même !, qu'on n'attendait pas considérant le déluge électrique de son ancienne formation et leur virage "tranquilou" sans lui (The Velvet Underground, 1969). En toute logique, on se dit que Cale devait être la composante "remuante" du groupe, celui qui allait nous décrasser les tympans d'une juste salve... Que nenni !
Présentement, presque uniquement entouré d'illustres inconnus (outre Garland Jeffreys qui fera une belle petite impression solo et le bassiste Harvey Brooks croisé chez Miles, les Doors ou Bob Dylan), Cale est seul maître compositionnel à bord, et même coproducteur avec Lewis Merenstein (Astral Weeks de Van Morrison, entre autres), et, on l'imagine, pas particulièrement sous pression de son label (o tempora o mores), d'autant que le budget du long-jeu est d'ordre lilliputien. C'est donc bien de l'expression volontaire de son art en 1970 dont il s'agit.
Et donc Vintage Violence surprend, et séduit surtout ! Parce que les compositions y sont superbes, bien sûr ! Du dynamique morceau d'ouverture (Hello There), aux penchants blues dévoyés (Adelaide), à la splendeur orchestrale maîtrisée (Big White Cloud), aux tentations country rock savoureuses (Bring It On Up) jusque l'épure la plus torale (Amsterdam), et j'en passe !, tout y atteint son but, rien n'y déçoit ! Cale s'y affirme, ce faisant, comme son propre animal, capable de tout, toujours pour le meilleur (même sur le bonus expérimental aux flaveurs indiennes du présent remaster, Wall, annonciateur de bien des merveilles à venir).
Décrit à sa sortie, dans Rolling Stone Magazine, comme ressemblant à un album des Byrds produit par Phil Spector (une définition qui fait toujours sens aujourd'hui), Vintage Violence n'est pas l'uvre essentielle de Cale mais, indéniablement, un premier chapitre de belle qualité et un album toujours aussi recommandé à ceux qui aiment leur pop/rock avec son supplément d'intelligence, une qualité qui ne manquera jamais au ténébreux gallois.

1. Hello, There 2:48
2. Gideon's Bible 3:24
3. Adelaide 2:22
4. Big White Cloud 3:33
5. Cleo 2:36
6. Please 4:19
7. Charlemagne 5:03
8. Bring It On Up 2:25
9. Amsterdam 3:13
10. Ghost Story 3:47
11. Fairweather Friend 2:33
Bonus
12. Fairweather Friend (alternate version) 2:38
13. Wall 6:07

John Cale - bass guitar, guitar, keyboards, vocals
Harvey Brooks - bass guitar
Sanford Konikoff - drums
Ernire Coralla - guitar
Garland Jeffreys - guitar, backing vocals
Stan Szelest - piano

JOHN CALE

Duo SPaTiaL
John Cale & Terry Riley "Church of Anthrax (Remastered)" (1971)
ou "Deux Mondes"

Voilà une rencontre qui a dû en surprendre plus d'un quand, en 1971, elle apparut dans les bacs des disquaires.
Surprendre surtout ceux qui ne savaient pas qu'avant le Velvet Underground et son premier album solo (l'excellent Vintage Violence), John Cale avait frayé avec quelques olibrius chantres d'un avant-garde minimaliste alors naissant et, en particulier, avec le Theatre of Eternal Music de La Monte Young.
Parce qu'ici, à l'exception de l'accessoire et déplacé The Soul of Patrick Lee (pas un mauvais titre cependant), pas de chansonnettes mais une musique instrumentale habitée où Terry Riley "drone", sa spécialité, et Cale illustre en multi-instrumentiste passionné et passionnant. Et si on sent bien qu'on a affaire à une jam c'est surtout à une création musicale d'une grande beauté qui nous est proposée, une musique qui sait se faire relaxante sans jamais perdre de son ambition et ambitieuse sans jamais se prendre la tête, où les influences world, jazz ou classiques apportent leur lot d'épices à la création, où les univers et acquis de deux Hommes s'imbriquent à la perfection.
Longtemps indisponible, outre quelques versions pirates peu recommandables circulant sous le manteau, il est bon de retrouver ce Church of Anthrax aussi stellaire que possédé, un petit bijou de musique avant-gardiste ET écoutable par deux grands messieurs au riche catalogue. Recommandé !

1. Church of Anthrax 9:05
2. The Hall of Mirrors in the Palace at Versailles 7:59
3. The Soul of Patrick Lee 2:49
4. Ides of March 11:03
5. The Protege 2:52

John Cale - keyboards, bass guitar, harpsichord, piano, guitar, viola, organ
Terry Riley - piano, organ, soprano saxophone
Bobby Colomby - drums
Bobby Gregg - drums
&
Adam Miller
- vocals on "The Soul of Patrick Lee"

TERRY RILEY

CoNTeMPoRaiN
John Cale "The Academy in Peril" (1972)
ou "Cale en liberté"

A-t-il été influencé par son escapade en compagnie de Terry Riley l'année d'avant (sur le très recommandé Church of Anthrax) ?, John Cale s'éloigne largement de son excellent premier album, Vintage Violence (1970), un petit chef d'œuvre de pop intelligente, s'orientant vers l'écriture moins immédiate, plus artistique de la musique classique, et en sort grand gagnant, avant une nouvelle mue... Intenable ce gallois !
Et donc voici Cale revenu, avec les acquis de son parcours musical déjà riche, à sa formation académique (d'où le titre ?) soit à la musique classique avec, notamment, un poignant hommage à Johannes Brahms sur le second titre de l'albumn Brahms justement où, seul au piano, Cale ne fait pas dans l'épate mais dans l'émotion. Mais l'album n'est pas qu'un hommage, il sait se frotter à son époque (Days of Steam, seule concession à la pop 70s, King Harry et son calypso post-apocalyptique ), chercher dans les possibles futurs (la fusion entre blues et musique contemporaine sur The Philosopher), et surtout souligner une fois encore le talent d'un homme, John, et ses caméléonesques capacités. Parce que le Cale du Velvet Underground est loin, parce que le Cale de Vintage Violence ne répond guère plus, parce que l'artiste à besoin d'air, The Academy in Peril est multiple tout en n'y perdant absolument pas en cohérence. La tonalité, c'est l'évidence, est à la musique contemporaine, à l'exploration, à l'orchestre aussi, tentation à laquelle Cale n'avait pas encore cédé et où il excelle (3 Orchestra Pieces, un John Milton à couper le souffle).
Pour l'anecdote, la pochette est d'Andy Warhol et le futur Rolling Stones et alors encore dans les Faces avec Rod Stewart, Ron Wood, joue le bluesman du Philosopher introductif. Pour l'anecdote parce que le plus important est dans la musique, dans la partition.
Et tout fonctionne ! Alors, on regrettera que l'album n'ai pas encore été remasterisé (c'est l'un des derniers Cale à ne pas avoir eu son coup de ripolin, il serait temps) et que la présente version souffre d'un souffle qui, dans les passages les plus ambiants, peu agacer. C'est le seul défaut, technique donc, d'un album de musique dite difficile sauvé par la grâce de ses mélodies et donc accessible à tous. Enfin, à tous ceux qui ont un minimum d'ouverture d'esprit et de gout de l'aventure. Parce que ce Cale là, homme libre, compositeur inspiré, instrumentiste précieux se mérite, demande à l'auditeur d'être là pour lui. Vu les trésors qu'il déploie, c'est le minimum.
 
1. The Philosopher 4:30
2. Brahms 6:27
3. Legs Larry at Television Centre 3:39
4. The Academy in Peril 6:56
5. Intro/Days of Steam 3:01
6. 3 Orchestral Pieces: Faust/The Balance/Captain Morgan's Lament 8:45
7. King Harry 4:11
8. John Milton 7:56

John Cale: bass, guitar, keyboards, viola
Del Newman: drums
&
Adam Miller
: vocals on "Days of Steam" and "King Harry"
Ron Wood: slide guitar on "The Philosopher"
Legs Larry Smith: narration on "Legs Larry at Television Centre"
The Royal Philharmonic Orchestra

JOHN CALE

BaRoQue PoP
John Cale "Paris 1919 (Remastered)" (1973)
ou "En attendant Drella"

Un vrai classique, tout le monde s'accorde là-dessus, mais pas forcément là où on attendait l'ex Velvet Underground après sa tentative ratée d'exploiter son background classique (pas Church of Anthrax en duo avec Terry Riley, The Academy in Peril, le bien nommé).
Un peu à l'image de son premier album (Vintage Violence, toujours fortement recommandé !) mais encore plus distant des sons de son ancienne formation, on y retrouve un Cale apaisé délivrant une pop intelligente et un poil exploratoire. Accessible tout en demeurant clairement intello, cette collection de chansons demeurera longtemps le mètre étalon de la splendeur « Calienne » (jusque son opus en duo avec Lou Reed, Songs for Drella).
Et il y a de quoi s'émerveiller ! The Endless Plain of Fortune, chef d'œuvre de pop orchestrale, le presque folk Child Christmas in Wales, le charme suranné et irresistible de la douce ballade qu'est Andalucia, le rock franc-du-collier pseudo-shakespearien de Macbeth, la préciosité entrainante d'un Paris 1919... Et le reste est à l'avenant !
Réédition « Deluxe » oblige, un gros lot de bonus tracks a été exhumé pour la circonstance. Trop souvent ce genre de reliquat équivaut à autant d'amères déceptions, pas ici. Et c'est une bonne nouvelle étant donné que la re-mise-en-son ne s'avère pas d'une brûlante urgence. En l'occurrence, la générosité rivalise ici avec la qualité. Générosité parce qu'un album à l'origine très court (32 minutes) se trouve enrichi de plus de 45 minutes de matériel (bigre !). Qualité parce que même l'anecdotique y est sympathique (les deux mixes du morceau-titre) et qu'en plus on y touche parfois au divin (la version rehearsal d'Antarctica Starts Here encore plus poignante que la version album). Tout juste regrettera-t-on qu'un seul réel inédit soit dévoilé, le sympathique et countrysant Burned Out Affair. Mais là, on mégote.
Un « classique-que-tout-un-chacun-se-doit-de-posséder » additionné d'une impressionnante collection de bonus versions allant d'intéressantes à splendides ? Exactement ce à quoi on s'attend en acquérant ce genre d'objet. Et on ne se plaint pas, et on en redemande...
 
1. Child's Christmas in Wales 3:21
2. Hanky Panky Nohow 2:46
3. The Endless Plain of Fortune 4:13
4. Andalucia 3:54
5. Macbeth 3:08
6. Paris 1919 4:07
7. Graham Greene 3:00
8. Half Past France 4:20
9. Antarctica Starts Here 2:47
Bonus
10. Burned Out Affair (Outtake) 3:24
11. Child's Christmas in Wales (Alternate Version) 3:30
12. Hanky Panky Nohow (Drone Mix) 2:51
13. The Endless Plain of Fortune (Alternate Version) 4:08
14. Andalucia (Rehearsal) 4:34
15. Macbeth (Alternate Version) 3:4
16. Paris 1919 (String Mix) 4:29
17. Graham Greene (Rehearsal) 1:40
18. Half Past France (Alternate Version) 4:50
19. Antarctica Starts Here (Rehearsal) 2:52
20. Paris 1919 (Piano Mix) 6:09
21. Macbeth (unlisted instrumental) 5:17

John Cale: chant, basse, guitare, claviers, viola
Wilton Felder: basse
Lowell George: guitare
Richie Hayward: batterie
U.C.L.A. Orchestra

LOWELL GEORGE

uN JouR
Kevin Ayers, John Cale, Eno and Nico "June 1, 1974" (1974)
ou "Jam Session"

Une affiche un peu trompeuse (John Cale et surtout Nico n'y font qu'une brève apparition), une de ces jam sessions si typiques des années 70, c'est le June 1 1974 de Kevin Ayers et Brian Eno, mais surtout Kevin en fait.
Or donc, en ce 1er juin 1974, quelques musiciens s'étant croisés lors d'erratiques ou décidés parcours, ayant plus au moins répété avant l'évènement, se retrouvent sur la scène du Rainbow Theatre de Londres pour un taper le bœuf sur quelques unes de leurs chansons respectives et celles des autres aussi. Dans les faits, l'album n'est qu'un montage de l'évènement puisque, tel que confirmé par de sûres sources, deux morceaux de Cale, deux autres de Nico et un de Kevin Ayers y furent omis. Des neufs titres restants, la part belle à Ayers qui squatte toute la face B originelle (de May I? à Two Goes Into Four), normal en tant qu'initiateur du projet, toutes n'offrent pas le satisfecit qu'on aurait pu attendre, c'est en partie la faute à la face précitée où, évidemment !, Ayers fait le métier mais peine à égaler les performances de ses trois illustres collègues (n'aurait-il pas été plus judicieux d'inverser les deux faces, d'ailleurs ?). Parce quelle face A, mes aïeux !, quel enchainement de transe musicale avec, pour bien commencer, un Eno du feu de quelque déité que vous voulez sur un Driving Me Backwards bien barré (avec le violon déchainé de Cale en essentiel complément faisant de cette version celle de référence) et un Baby's on Fire plus abordable mais presque aussi trippant. Viennent ensuite John Cale pour le Hearbreak Hotel  d'Elvis transformé et vicieux dont la version studio paraitra bientôt (sur Slow Dazzle) et Nico pour une version du The End des Doors carrément supérieure à celle qu'elle vient juste d'enregistrer, deux complètes réussites qui concluent une première moitié de feu, bravo.
Pour plus de détails sur la cuisine interne et le jeu de chaises musicales entre musiciens, je vous laisse vous référer à la tracklist (plus bas), il n'est pas cependant inutile de noter que si quatre noms prestigieux ornent la pochette, d'autres excellents et légendaires musiciens ont également participé  dont Mike Oldfield (les deux dernières), Robert Wyatt (aux percussions, pourquoi seulement aux percussions ?!, sur deux-tiers des titres), John "Rabbit" Bundrick (de chez Kossoff, Sandy Denny, Free, etc.) et quelques autres moins connus mais aussi compétents et s'amusant autant que les autres dans une atmosphère allant du sérieux le plus appliqué à une franche rigolade jammesque. 
Bref, inégal, décousu, éparpillé dirait-on même, ou, tout ça est vrai mais n'est-ce pas la nature même de ces rencontres impromptues ?, June 1 1974 est une galette néanmoins bourrée de charmes qu'on conseillera par conséquent aux amateurs de pop/rock/folk, de la musique communautaire par une bande de post-hippies en somme, des années 70. En quelques mots complémentaires ? Une belle photographie de groupe de vrais talents, recommandé.

1. Driving Me Backwards 6:07
2. Baby's on Fire 3:52
3. Heartbreak Hotel 5:19
4. The End 9:14
5. May I? 5:30
6. Shouting in a Bucket Blues 5:07
7. Stranger in Blue Suede Shoes 3:27
8. Everybody's Sometime and Some People's All the Time Blues 4:35
9. Two Goes into Four 2:28

Kevin Ayers – vocals (5-9), guitar (5-9), bass guitar (1-2)
Brian Eno – vocals (1-2), synthesizer (1-4, 9)
John Cale – vocals (3), piano (2), viola (1, 9)
Nico – vocals (4), harmonium (4)
Mike Oldfield – lead guitar (8), acoustic guitar (9)
Ollie Halsall – piano (1), guitar (2-3, 8), lead guitar (5-7), acoustic guitar (9)
John "Rabbit" Bundrick – organ (1-3 & 5-8), organ, piano, electric piano (5-7)
Robert Wyatt – percussion (1-3, 5, 8, 9)
Doreen Chanter – backing vocals (3)
Archie Leggatt – bass guitar (1-3 5-7 + 9)
Eddie Sparrow – drums (2,3, 5-7), bass drum (1), tympani (9)
Liza Strike – backing vocals (3)
Irene Chanter – backing vocals (3)

ENO, NICO
AYERS, CALE

oN aN iSLaND
John Cale "The Island Years (Remastered)" (1974/75)
ou "Avant le silence"

Outre des enregistrements et des publications rapprochées, signe de temps où tout allait plus vite dans le monde de la rock music, il y a un vrai sentiment d'urgence sur la triplette enregistrée par John Cale pour le label Island et réunie (avec quelques inédits pas inutiles) sur un double cd bien fichu mais, surtout !, gorgé d'excellentes performances par d'excellents musiciens pour un résultat, ô surprise !... Excellent !
Or donc, au lendemain d'un triomphant et précieux Paris 1919, œuvre à laquelle nul ne niera une "panthéonienne" destinée, le gallois change notablement de ton en plus de label revenant à des amours plus brutales et donc à un rock'n'roll brut de décoffrage (mais pas idiot pour autant (intello un jour, intello toujours !) preuve qu'on peut bander ses muscles, tendre sa voix sans tomber dans l'agression machiste d'un Ted Nugent pour ne citer qu'un bon gros bœuf étatsunien) tout en continuant d'assurer l'héritage de ses expérimentations plus pop. Précisons aussi que la crème collectée par Cale dans les différents line-up qui l'accompagnent (en vrac : Manzanera, Eno, Richard Thompson, Chris Spedding, Phil Collins (ne riez/fuyez pas !), etc.) n'est pas exactement un facteur handicapant de l'entreprise... Mais bon, c'est Cale à la barre, c'est lui le chef et ces années Island sont définitivement marquées du sceau de sa divine colère, juste colère, sa glaçante colère... sa Belle colère ! Mais pas que de la colère, Cale est trop malin pour ça.
Si on rentre dans le "gras de la bête" et en isole chacune des ses composants, on dira que Fear, premier paru en octobre 1974, est aussi le plus varié du lot, le moins lugubre aussi, et qu'on y croise moult créatures chatoyantes qui ont sans aucun doute beaucoup influencé ce qu'est Nick Cave aujourd'hui devenu (tous projets confondus). Et c'est un magnifique album avec, en tête de gondole, un Ship of Fools tout simplement bouleversant.
Cinq mois seulement plus tard (ha les cadences infernales des joyeuses seventies !), en mars 1975, parait Slow Dazzle suite logique mais plus "rockocentrée" de Fear qui gagne largement en efficacité ce qu'il cède en diversité. C'est encore un album intense avec un Cale "à vif". On en ressortira l'hommage à Brian Wilson, Mr. Wilson, la reprise hantée d'Elvis Presley, Heartbreak Hotel, et un bien senti Dirty Ass Rock 'N' Roll qui en remontre facilement à son copain Lou.
Last but not least, en novembre 1975, Helen of Troy, l'album d'avant la rupture, est aussi le plus cohérent, celui qui donne le plus l'impression d'écouter un groupe des trois, pas un hasard puisque c'est celui au line-up le plus constant. Et pas le moins réussi donc parce qu'on y trouve des pépites comme la chanson titre ou le croquignolet (I Keep a) Close WatchCale croone comme un vieux pro. C'est aussi tout en étant le moins agité, le plus théâtral de ces années Island comme en témoigne le quasi-progressif Engine... Et une réussite de plus !
On ajoutera que les trois fonctionnent très bien les uns à côtés des autres et constituent un tout intéressant sur une période où Cale, visiblement, a quelques visées commerciales qui ne seront, hélas, pas payées en retour malgré la qualité générale des prestations et des compositions. Peut-être cette pop rock certes abordable mais encore un peu trop cérébrale et parfois un peu trop acide laissa froid un public amateur récurrent de prêt-à-mâcher... Peut-être aussi qu'un Cale, qui n'est pas un grand chanteur ni n'a jamais prétendu l'être, à la voix si particulière, n'était pas taillé pour le costard...
Peut-être... Mais le petit drame de la période c'est qu'il faudra quelque années avant que Cale ne repasse par la case studio privant donc le monde, et les fulgurances de son début de catalogue solo, d'une suite immédiate. Il faudra ainsi attendre 1981, et le pas glop (mais pas honteux non plus) Honi Soit, pour retrouver du matériau original de Cale en solitaire... Le niveau s'améliorera heureusement dès l'année et la galette suivante avec le très bon, essentiel même !, et pourtant cruellement indisponible aujourd'hui Music For A New Society, mais c'est une autre histoire...
De l'objet proprement dit, outre quelques bonus tracks bienvenues, on appréciera de le voir doté d'une pochette classe et pas tapageuse, à l'image du ténébreux artiste qu'elle affiche. Il n'y a pas à dire, c'est du bon boulot où on regrettera simplement l'absence de paroles qui auraient joliment complémenté les notes de pochettes de Ben Edmonds (du magazine Rolling Stones US, qui s'y connait visiblement) et les quelques photos d'époque. Mais bon, c'est pour pinailler parce que, vraiment !, The Island Years offre une trop belle opportunité de découvrir John Cale dans une phase moins "commercialement faste" de sa carrière (c'est tout relatif, Cale n'ayant jamais été un gros vendeur) mais pas moins faste artistiquement comme ceux qui tenteront l'expérience s'en rendront joyeusement compte.
 
CD 1
Fear (1974) & outtake
1. Fear Is a Man's Best Friend 3:52
2. Buffalo Ballet 3:28
3. Barracuda 3:46
4. Emily 4:21
5. Ship of Fools 4:36
6. Gun 8:04
7. The Man Who Couldn't Afford to Orgy 4:33
8. You Know More Than I Know 3:34
9. Momamma Scuba 4:23
10. Sylvia Said 4:07 (single B-side, remixed)
Slow Dazzle (1975) & outtakes
11. All I Want Is You 2:55 (outtake)
12. Bamboo Floor 3:24 (outtake)
13. Mr. Wilson 3:15
14. Taking It All Away 2:56
15. Dirty-Ass Rock 'N' Roll 4:41
16. Darling I Need You 3:35
17. Rollaroll 3:57
 
CD2
1. Heartbreak Hotel 3:10
2. Ski Patrol 2:05
3. I'm Not the Loving Kind 3:07
4. Guts 3:26
5. The Jeweller 4:11
Helen of Troy (1975) & outtakes
6. My Maria 3:48
7. Helen of Troy 4:18
8. China Sea 2:30
9. Engine 2:45
10. Save Us 2:20
11. Cable Hogue 3:30
12. (I Keep A) Close Watch 3:27
13. Pablo Picasso 3:20
14. Leaving It Up To You 4:33
15. Baby, What You Want Me to Do? 4:48
16. Sudden Death 4:36
17. You & Me 2:50 (outtake)
18. Coral Moon 2:14
19. Mary Lou 2:46 (outtake)

"Fear" (1974)
John Cale - bass guitar, guitar, keyboards, viola, lead vocals, production, writing, cover
Phil Manzanera - guitar, slide guitar on "Momamma Scuba", executive producer
Fred Smith - drums
Brian Eno - synthesizer, effects, executive producer
Archie Leggatt - bass
Michael Desmarais - drums on "Momamma Scuba"and "Fear"
Richard Thompson - slide guitar on "Momamma Scuba"
Bryn Haworth - slide guitar on "Momamma Scuba"
Brian Turrington - bass on "Momamma Scuba"
Irene Chanter - background vocals
Doreen Chanter - background vocals
Liza Strike - background vocals, girl's choir
Judy Nylon - lead vocals on "The Man Who Couldn't Afford to Orgy"

"Slow Dazzle" (1975)
John Cale: piano, organ, clavinet, vocals, production, cover, writing
Gerry Conway: drums
Pat Donaldson: bass
Timi Donald: drums
Brian Eno: synthesizer
Phil Manzanera: guitar
Geoff Muldaur: harmony vocals on "Guts" and "Darling I Need You"
Chris Spedding: guitar
Chris Thomas: violin, electric piano

"Helen of Troy" (1975)
John Cale - keyboards, guitar, vocals
Phil Collins - drums
Pat Donaldson - bass
Timi Donald - drums
Brian Eno - synthesizer
Chris Spedding - guitar
Robert Kirby - string & choir arrangement

JOHN CALE

MoDeRN VioLeNCe
John Cale "Sabotage/Live" (1979)
ou "De bruit et de fureur"

Vous pensiez que, chez les ex-Velvet Underground, Lou Reed avait le monopole de la colère ? Le Sabotage/Live de son poteau John Cale va vous faire fissa réviser votre jugement parce que ce live, la dernière livraison des seventies, 4 ans après Helen of Troy, d'un Cale qui s'il est trop discret dans les parutions est présentement hurlant de rage, suant d'électricité, est une explosive démonstration... Place aux mots de Dioneo de chez Guts of Darkness :
"Foutaise, cette histoire, ce raccourci : dans le Velvet Underground, Lou Reed aurait été l’âme rock’n’roll, la fleur de caniveau qui cherchait à tout prix à percer, persistant et se nourrissant de l’ordure pour recracher sa poésie et son boucan ; et John Cale le fils d’Europe, cultivé, esprit classique en recherche de corruption, d’électricité, qui se serait mangé le flash et la décharge en rencontrant les autres…
Certes : en intégrant le groupe, Cale a dû trouver la concision, l’obligation de serrer le tir, la liberté de jouer "faux" sans qu’on lui objecte que ce serait un parti-pris, aussi, un concept. Ce dernier point n’est même pas certain, d’ailleurs. Car en terme d’expérimentations sauvages, de tout-est-permis, Cale en avait vu d’autre avant le Velvet. Des Tony Conrad, Marian Zazeela, La Monte Young… Tout le Dream Syndicate : tritureurs de drones, mutateurs d’ondes, de charges. Les jeux de voltage, il connaissait déjà, bien avant que les autres s’en mêlent. Et puis "la culture", il n’est pas difficile de voir, d’entendre ce qu’il en fait, ce qu’il lui veut, tout au long de cette discographie instable, ouverte, multiforme : ce doit être un acide, une pointe, une attache qui pète et cingle en pleine face ; il faut que ça ouvre et mette au jour, éveille ; il faut parfois que ça terrifie ; il faut aussi que ça secoue d’un grand frisson hilare, face à tout, face à la foule, face au gouffre.
Ce live de 1979 raconte bien cette histoire là. En formes coupantes et contondante. Avec des casques de travaux, des choristes au maquillage et au timbre bubblegum. Avec des guitares qui rampent, cabrent, fulgurent. Dans le groove, le noir. Si on en croit ce qu’en disent ceux qui en furent, même en n'ayant pas besoin de tendre excessivement l’oreille : dans la liesse, la dope, l’excès des deux. Cale, paraît-il, ne voulait pas quitter les salles si un seul corps dans l’assistance n’en sortait pas secoué. A voir les images de ces années – de celles qui ont suivi – il paraît clair que tout ça partait trop loin pour leur bien, leurs santés. A l’écouter, on sent l’éclate perpétuelle et l’épuisement qu’ils devaient s’infliger en retour, dans ces tournées qui étaient des raids. Sans jamais cesser de chercher le point sensible, la faille dans le bloc, chaque nouveau lieu investi. Sans jamais rien éteindre ou mettre en sourdine : amplis et encéphales. John Cale, au CBGB’s – salle où avaient débuté Ramones, Television, Talking Heads, Blondie, Dead Boys… tous les cracks et craqués, génies ou brillants abrutis du punk américain d’alors – commence par ce qui doit être une paraphrase de Machiavel, de ses écrits de stratégie militaire. "Les mercenaires ne servent à rien… Une maigre solde qui suffit à leur donner envie de TUER pour vous mais pas de MOURIR pour vous". Et dans l’instant le voilà qui entre sans autre prémisse et précaution : le rock’n’roll, disais-je.
Levons un doute, aussi : Sabotage n’est pas une pauvre réponse au Rock’n’Roll Animal de Reed, sorti six ans plus tôt. Sans doute, peut-être même pas un "moi aussi", une tentative de l’égaler. A mon sens ce n’est d’ailleurs pas le cas : puisque celui-là éblouit d’un éclat bien plus fou, brut, et finalement plus… Sale. Là où l’ancien complice avait embauché une certaine crème – l’intégralité du futur Alice Cooper Band, parmi lesquels Hunter et Wagner, guitar-heroes flamboyants mais requins de studio, des shock-rockers sachant allumer les stades plutôt que des affamés piaffant dans l'arrière-cour – Cale va chercher des sauvages inconnus. Hirsutes, jeunes et nerveux, minces, l’envie de mordre et de jouir chevillé au corps comme une mission ou comme un parasite. Fin de la parenthèse, allons : ce disque se tient tout seul, brûle haut sans ces comparaisons. Le jeu du nommé Marc Aaron noue des paquets, des embrouilles de riffs pour en faire jaillir l’instant d’après des lignes brillantes, épiques, grandioses si le propos, si la chanson l’exige. Deerfrance – choriste, amie proche de Cale à cette époque – chante seule une sorte d’interlude doux et coloré, confiserie poudrée. Ça raconte paraît-il ses pensées après s’être enfuie de justesse d’un viol qu’un camionneur avait voulu lui infliger, histoire de se "payer sur la bête" pour l’avoir prise en stop… Béni Soit Le Perçant Des Escarpins.
Partout ailleurs John Cale gueule ou caresse, possédé, crooner. On dirait parfois presque Jim Morrison – celui de la fin, barbu et cramé au bourdon plutôt qu’éclairé lysergique. Il reprend Walking The Dog, avec cette voix ci – une sorte de standard, "novelty-song", hit à moitié comique, soul, rhythm and blues en son temps balancé par Rufus Thomas. Quand on sort le chien, on sait bien que c’est pour qu’il pisse et chie. Ou autre chose. Passons. Du salissant… Juste après, le même nous conte une fable de défaite coloniale – l’Inde et l’Empire, les vieux capitaines jamais arrivés, toujours là trop tard, l’attente déçue. Rudyard Kippling se paume dans le Désert des Tartares de Buzatti, il y crève sans fin de malheur et d’ennui ; il chiale sous le port imperturbable ; mais ce qu’on entend, ce sont ces claviers cristallins, timbres synthétiques et somptueux ; et cette guitare qui fouille le ventre et déchire l’horizon… Sabotage – le morceau qui donne son titre à l’album – n’est pas qu’un titre : il perpètre ce qu’il énonce. Il est beau que tout ça finisse par un chœur d’une espèce de curieux gospel. Qu’autours du vaste et haut et ténébreux, nébuleux sommet – Captain Hook, donc – ceux-là envoient du groove comme si les Talking Heads (décidément…) s’étaient trompé de rue, de ruelle, d’impasse, de quartier. Le cuir, ça supporte mieux les jets d’huile que le costard. D’hémoglobine, également. Et puis les fanfreluches, aussi – rubans, jarretières, crinolines – c’est absorbant autant que ça excite l’œil. Ils ont la classe – comme nom vulgaire d’une élégance. On le répète : il est probable qu’ils soient tous défoncés.
Sabotage : on ne prend pas le manche ni la route sans être persuadé que le monde attend, désire, a besoin des cimes aux tréfonds qu’on vienne l’accidenter, le libérer, l’ouvrir béant par effraction. On se fout bien, à ces heures, de se faire prendre ou d’y rester."
Voilà, tout est dit, vous savez ce qu'il vous reste à affaire, et bon décrassage des conduits auditifs, ça fait du bien !

1. Mercenaries (Ready for War) 7:55
2. Baby You Know 4:03
3. Evidence 3:34
4. Dr. Mudd 3:56
5. Walkin' the Dog 4:09
6. Captain Hook 11:30
7. Only Time Will Tell 2:28
8. Sabotage 4:28
9. Chorale 3:44

John Cale - vocals, piano, guitar, fretless bass, viola
Marc Aaron - lead guitar
Joe Bidewell - keyboards, vocals
Doug Bowne - drums, vocals
Deerfrance - percussion, vocals
George Scott - bass, vocals

JOHN CALE

mercredi 28 octobre 2015

Aux Mages... (hommage)

Aujourd'hui, c'est "Tributes" à gogo ! Bon, l'exercice est assez rarement couronné de succès, surtout quand il est multi-artistes et visiblement opportuniste, mais pas de ça ici, que le haut du panier, la crème de la crème avec une belle série d'œuvres (plus ou moins) à la marge que ce soit par leur sujet ou leur interprètes. Enjoie !

PiNK Floyd
Gov't Mule "Dark Side of the Mule" (2014)
ou "Gov't Floyd"

Quand un jam band largement influencé par le Grateful Dead et le Allman Brothers Band s'attaque, en live !, au monument progressif et psychédélique qu'est Pink Floyd, ça donne ? Dark Side of the Mule, pardi !
A l'origine, un concert de le soir d'halloween 2008 au Orpheum Theatre de Boston, dont la présente galette n'est que portion congrue*, est oubliée la première partie du set et le rappel final tous deux dédiés à d'autres horizons musicaux, où Warren Hayes et ses petits gars, alias Gov't Mule, osent, ils ont de l'estomac, reprendre cette référence pourtant quelque peu éloignée de leurs habituelles préoccupations. On pouvait donc, en toute logique, avoir quelques doutes sur la viabilité d'un tel projet, doutes vite balayés par le talent d'une formation avant tout dédiée à ses fans ô combien fidèles et souhaitant, donc, toujours leur offrir de nouvelles expériences en plus de repousser ses propres limites supposées.
Au programme, une douzaine de chansons de la période post-Barrett du Floyd issus de Meddle, Wish You Were Here, Animals et, comme le titre de la galette le laisse deviner, Dark Side of the Moon avec rien moins que six extraits, que du lourd, quoi avec, comme c'est pratique, deux choristes ayant pris part aux grand-messes publiques du groupe hommagé (Machan Taylor et Durga McBroom). Le groupe, sans forcément tenter de réinventer la roue, c'est heureux, infuse sa personnalité dans le répertoire amenant, à minima, des petits machins qu'on accueille avec plaisir et rendent l'ensemble moins dérivatif qu'il n'y parait. On a ainsi droit, par exemple, à un Have a Cigar nettement plus bluesy et groovy que sa version originale, à un Fearless joliment électrifié, à un Shine on You Crazy Diamond bordant souvent la paranoïa. Pas une révolution en soi mais d'aptes versions permettant de jouir pleinement de la performance sans avoir l'impression d'écouter un bête tribute band.
Dark Side of the Mule ? Un bel hommage si imparfait (live, quoi !) qui plaira autant aux fans de Pink Floyd qu'à ceux de Gov't Mule. Mission accomplie.
* à noter qu'il existe une version complète du concert sur quatre cd.

1. One of These Days 6:15  
2. Fearless 5:37  
3. Pigs on the Wing, Pt. 2 1:37  
4. Shine on You Crazy Diamond, Pt. 1-5 13:57  
5. Have a Cigar 6:27  
6. Breathe (In the Air) 3:20  
7. Time 6:48  
8. Money 7:15  
9. Comfortably Numb 6:10  
10. Shine on Your Crazy Diamond, Pt. 6-9 13:59  
11. Wish You Were Here 6:02

Warren Haynes - guitar, producer, vocals 
Danny Louis - guitar, keyboards, backing vocals
Jörgen Carlsson - bass
Matt Abts - drums, percussion, vocals 
Ron Holloway - saxophone 
Machan Taylor - background vocals 
Durga McBroom - background vocals 
Sophia Ramos - background vocals 
Leslie Bloome - sound effects

(le noyau dur de)
GOV'T MULE

ToWNeS VaN ZaNDT
Scott Kelly, Steve Von Till, Wino "Songs of Townes Van Zandt" (2012)
 ou "this Townes is big enough for the three of us"
 
Pour ceux connaissant les exactions des trois hommes ayant joint leurs forces pour rendre hommage à l'immense et regretté Townes Van Zandt (aucune relation avec les frères chantants, mort et vivant, de Lynyrd Skynyrd), ce court tribute n'est pas vraiment une surprise considérant que Kelly, Von Till et Scott Weinrich (Wino) - malgré l'appartenance post-metal et stoner/doom de leurs projets principaux- avaient déjà montré leur amour de l'idiome folk via divers side-projects ou aventures solitaires, c'est aussi parce que Townes est sans aucun doute le plus proche, dans son domaine de prédilection, de leurs capacités vocales et de leurs sensibilités artistiques.
Ceci dit, l'amour affiché par nombre de metalleux et musiciens de metal pour Townes et le magnifique et habité matériel qu'il écrivit lors de sa chaotique et sous-estimée carrière continue de me surprendre. En vérité, il n'y a pas grand chose dans la musique de Van Zandt pour satisfaire l'amoureux de rythmes lourds, de chant agressif, de guitares aiguisées... En fait, il n'y a rien d'autre que l'évident talent d'un mec capable de déverser ses tripes sur la page et de chanter si justement ses états d'âmes, ses histoires, qu'il est difficile d'y résister. Les versions de Scott, Steve et Wino rendent justice à une sélection composée dans sa grande majorité de classiques du répertoire Townsien, sélection fidèle, avec les trois vocalistes empruntant largement au style vocal de Van Zandt à tel point qu'on finit parfois par les y oublier nous permettant de nous concentrer d'autant plus intensément sur la musique, et les paroles bien sûr.
Des trois, Kelly est celui qui réussit le mieux son affaire s'éloignant suffisamment des versions originales pour affirmer sa propre voix tout en restant fidèle à l'esprit des chansons. Steve Von Till remplit son contrat aussi et nous rappelle, au passage ô combien joliment inspiré par l'approche désespéré qu'avait Townes de la Country/Folk son album A Grave Is A Grim Horse était déjà et combien sa belle voix basse colle à ces compositions si intensément émotionnelles. Wino, le plus zélote des trois, est aussi le moins impressionnant. Si ses versions sont indéniablement agréables à écouter, il parait trop vouloir imiter le maître pour produire autre chose que de convaincantes imitations/copies carbone des chansons dans leur versions les plus "nues" (comme sur le toujours très recommandé Live at the Old Quarter Houston Texas).
C'est uniquement sur le cv des trois intervenants et le vrai génie d'un auteur/compositeur encore trop peu reconnu qu'on conseillera cet album aux metalleux, au plus ouverts d'esprit d'entre eux en tout cas. Concrètement, sur l'échelle de valeur des tribute albums, Songs of Townes Van Zandt appartient à la crème, le haut de l'affiche simplement parce que c'est une (re)création confiée à des gens qui s'en sont profondément soucié et s'investirent conséquemment. Ca aide, indubitablement.

1. Steve Von Till "If I Needed You" 3:57
2. Scott Kelly "St. John the Gambler" 4:43
3. Steve Von Till "Black Crow Blues" 3:21
4. Scott Kelly "Lungs" 3:20
5. Wino "Rake" 2:44
6. Steve Von Till "The Snake Song" 3:35
7. Wino "Nothing" 3:51
8. Scott Kelly "Tecumseh Valley" 7:09
9. Wino "A Song for" 4:25

Steve Von Till: chant, guitare (1, 3, 6), electronics (6)
Scott Kelly: chant, guitare (2, 4, 8)
Wino: chant, guitare (5, 7, 9)
&
Jesse Baldwin
: lap steel (2)

SCOTT KELLY

PiNK Floyd
Nguyên Lê with Michael Gibbs & NDR Bigband "Celebrating The Dark Side of the Moon" (2014)
ou "Jazz Floyd"

Alors que ce qui reste de Pink Floyd se vautre dans le revivalisme le plus commercialement intéressé revisitant de vieilles bandes en un douteux hommage à leur décédé claviériste, il est encore des instrumentistes qui font vivre la musique référentielle que nous connaissons tous. Voici Nguyên Lê et son tribute au légendaire Dark Side of the Moon, une célébration, comme son titre l'indique, une vraie !
On y trouve une relecture respectant son sujet sans oublier cependant de prendre quelques libertés, de pousser l'enveloppe d'une partition connue par cœur. Et il fallait oser !, oser transcrire une pièce ô combien révérée pour big band, gonflé ! Alors, certes, on ne niera pas l'opportunité calendaire qu'a su saisir le label ACT en commissionnant la création dudit tribute - en même temps que le piteux The Endless River et l'anniversaire du demi-siècle de la formation honorée - mais c'est, fondamentalement, d'Art dont il s'agit, et d'une exceptionnelle mais finalement pas surprenante réussite. Pas surprenante parce que Nguyen Lê n'en est pas à ses premiers faits d'armes lui qui a déjà hommagé, et bien !, Jimi Hendrix, Led Zeppelin, les Beatles ou Bob Marley et sait donc transformer, s'approprier le matériau d'autrui avec brio. Pas surprenante parce que NDR Bigband , l'orchestre jazz de la radio/télévision publique du même nom, est un bel ensemble de professionnels accomplis bien dirigé par un chef talentueux, Jörg Achim Keller, et doté de solistes de qualité, on citera Christof Lauer dont les explorations saxophoniques libres enluminent Time de nouveaux atours ô combien attrayants.
Y reconnaît-on l'œuvre originelle de Pink Floyd ?  Oui. Triturée, déconstruite, reconstruite, manipulée mais toujours mélodiquement vivace et même, et là est peut-être le réel tour de force de la galette, dans les interludes originaux augmentant la tracklist canonique que créa Nguyên  Lê pour l'occasion, c'est fort, et qui plus est souvent fun. Les fans s'y retrouveront-ils ? Ceux ayant un minimum le goût de la chose jazz et l'oreille aventureuse certainement, les intégristes, zélotes de la chose floydienne plus difficilement, forcément, quoique l'emballage technique et émotionnel du guitariste/leader ne devrait pas les laisser indifférents, pas plus que la performance, c'est le mot !, de la vocaliste sud-coréenne Youn Sun Nah en parfaite adéquation avec l'excellence de l'ensemble.
En l'espèce, dans un domaine différent mais avec d'égales volontés transformatrices, Celebrating the Dark Side of the Moon égale le désormais culte Dub Side of the Moon d'Easy-Star All Stars. C'est un compliment et une façon comme une autre de vous dire à quel point le fait est haut et chaudement recommandé. Bravo !

1. Speak to Me 1:56
2. Inspire 2:54
3. Breathe 2:33
4. On the Run 2:41
5. Time 9:51
6. Magic 2:20
7. Hear This Whispering 2:01
8. Great Gig in the Sky 2:16
9. Gotta Go Sometime 3:14
10. Money 6:12
11. Us and Them 7:51
12. Purple or Blue 2:53
13. Any Colour You Like 5:17
14. Brain Damage 4:13
15. Eclipse 2:34

Nguyên Lê - electric guitar, electronics
Youn Sun Nah - vocals
Gary Husband - drums
Jürgen Attig - electric fretless bass
&
NDR Bigband

Conductor: Jörg Achim Keller
Trumpets: Thorsten Benkenstein , Benny Brown , Ingolf Burkhardt , Claus Stötter (solo on 12) & Reiner Winterschladen
Saxophones/reeds: Fiete Felsch (alto & flute/solo on 11), Peter Bolte (alto & flute), Christof Lauer (tenor & soprano/solo on 4), Lutz Büchner (tenor & soprano/solo on 14), Sebastian Gille (tenor & soprano), Marcus Bartelt (baritone & bass clarinet)
Trombones: Dan Gottshall , Klaus Heidenreich , Stefan Lottermann , Ingo Lahme (tuba & bass trombone)
Percussion: Marcio Doctor
Piano & synths: Vladyslav Sendecki (solo on 8)

NGUYÊN LÊ

KiNG Crimson
Médéric Collignon et le Jus de Bocse "A la Recherche du Roi Frippé" (2012)
ou "Le Roi bien honoré"

S'il y a un instrumentiste jazz français qu'on imaginait pouvoir se frotter à l'œuvre de King Crimson, c'est bien Médéric Collignon et le moins qu'on puisse dire, à l'écoute de ce "Roi Frippé", c'est que nos attentes sont satisfaites.
On connaissait la passion de Collignon pour Miles Davis qu'il hommagea ô combien aptement (et doublement) via les deux précédents opus de son Jus de Bocse: Porgy And Bess pour la phase "cool jazz" et un second pour la période fusion (Shangri-Tunkashi-La), tous deux toujours chaudement recommandées. Cette fois, glissant encore un peu plus dans le temps et s'éloignant stylistiquement de fondamentaux jazz, c'est à un monument du rock progressif que le furieux multi-instrumentiste et vocaliste s'attaque sans oublier, comme il le fit déjà sur Shangri-Tunkashi-La, de glisser quelques traits de sa propre inspiration (ce dont il aurait, à l'écoute, bien eu tort de se priver). Concrètement, 12 titres et 76 minutes durant, avec un luxe de musiciens additionnels (deux quatuors à cordes en la circonstance) auquel Miles n'avait pas eu droit, Collignon et le Jus de Bocse font plus que rendre un simple hommage au Roi Cramoisi, ils parviennent, sans la moindre trahison, à véritablement se réapproprier des thèmes du groupe.
Et ça fonctionne du tonnerre de Zeus ! Parce que les instrumentistes ici présents ne sont pas (loin de là !) des bras cassés, parce que l'imagination de leur leader semble une source inépuisable de merveilleuses petites trouvailles et autres brillantes idées, parce que ces compositions sont, dans leur conception même, ce qu'il est convenu d'appeler de la Grande Musique aussi et, ultimement, parce que ce matériau laisse place à l'interprétation, ce dont le line-up réuni ici ne s'est nullement privé. Ainsi, sur l'introductif Red (monstre de lourdeur et de précision dans son acceptation originelle s'il en fut) entend-on, du cornet vibrionnant de Collignon, d'une impeccable section rythmique à ces cordes puissantes et gracieuses soutenant parfaitement l'édifice, à quelle sauce le Roi Frippé va être mangé. Et on en redemande ! Une constatation pas inutile cependant, si l'élément jazz (fusion) se retrouve ici plus poussé et plus évident que ce à quoi l'auditeur habituel de King Crimson a été habitué, il n'en prend toutefois aucunement le pas sur l'esprit jadis développé par cette exquise et changeante formation ici parfaitement retranscrit par un Médéric visiblement trop fan pour s'en éloigner drastiquement (et c'est très bien comme ça).
Au final, majoritairement instrumental (mais loin de l'indignité quand Médéric y vocalise comme sur Frame by Frame) s'adressant tout aussi bien à ses fans, à ceux de King Crimson qu'à tous ceux qui apprécient un jazz fusionnant, prospectif, moderne, progressif (évidemment) même s'il se conclut, en toute étrangeté, par une apaisante reprise de Nick Drake (River Man) dont on se demande un peu ce qu'elle vient faire ici, A la Recherche du Roi Frippé est exactement ce qu'on attendait de Collignon et ses complices : une complète réussite. Recommandé !

1. Red
2. Lark's Tongues in Aspic II
3. Lark's Tongues in Aspic III
4. Vrooom
5. Vrooom Vrooom
6. Frame by Frame
7. Intrudicsion/Indiscipline
8. 21st Century Schizoid Man
9. Facts of Life
10. Krim 3
11. Dangerous Curves/Incursion
12. River man
aux "Victoires de la Musique 2013"

Médéric Collignon - cornet, voix, b3, effets, percussions
Frank Woeste - Fender rhodes, effets, b3
Frédéric Chiffoleau - contrebasse, basse
Philippe Gleizes - batterie
 &
Youri Bessières
, Anne Le Pape, Widad Abdessemed, Marius Pibarot - violon
Olivier Bartissol, Cécile Pruvot - alto
Valentin Ceccaldi, Matias Riquelme - violoncelle

MEDERIC COLLIGNON

SoNNy CLaRK
The Sonny Clark Memorial Quartet "Voodoo" (1986)
ou "Ce cher disparu"

Vous ne connaissez pas Sonny Clark, vous ne vous en souvenez plus bien ? Laissez donc John Zorn, Wayne Horvitz, Bobby Previte et Ray Drummond vous rafraichir la mémoire, ou vous le présenter.
Ho le beau quatuor que voici, et le bel hommage, aussi. A un pianiste et compositeur de Hard Bop ayant croisé la route de, entre autres cadors, Billie Holiday, Dexter Gordon, Dinah Washington, Oscar Pettiford, Philly Joe Jones, etc. Mort à 31 ans d'une crise cardiaque probablement occasionnée par des abus de substances en tous genres, c'est une carrière prometteuse qui fut fauchée, aux premiers jours de 1963.
On y retrouve donc ce beau quatuor qui, composé de membre de la scène de Downtown NYC, n'en sert pas moins des versions très traditionnelles, très proches, en fait, des créations de Clark. Bobby Previte et Ray Drummond y forment une belle section rythmique, tout en groove et en finesse tandis que Wayne Horvitz se glisse dans les habits de Sonny sans la moindre difficulté. La vraie surprise, de fait, est d'entendre un John Zorn en vrai saxophoniste de jazz (avec quelques micro-rappels de qui il est, tout de même) lui qui nous avait habitué à des exactions souvent avant-gardistes et bruitistes est ici d'une sagesse, et d'un maîtrise !, admirable, soufflant dans son alto à la manière d'un hard-bopper plus vrai que nature.
Zorn, en compagnie, cette fois, du guitariste Bill Frisell et du tromboniste George Lewis, rendra encore hommage à Sonny Clark (sur News for Lulu et More News for Lulu, 1988/92), c'est dire si le bonhomme lui tenait à cœur. Et c'est sans doute exactement pour ça que l'iconoclaste et souvent destructeur compositeur New Yorkais est, présentement, si respectueux de l'œuvre du pianiste. Et ça nous donne un magnifique hommage, une jolie porte d'entrée vers un musicien un peu oublié aujourd'hui et, donc, une galette chaudement recommandée.

1. Cool Struttin' 5:27
2. Minor Meeting 4:36
3. Nicely 5:34
4. Something Special 4:45
5. Voodoo 10:57
6. Sonia 4:02
7. Sonny's Crib 7:40

Ray Drummond - basse
Wayne Horvitz - piano
Bobby Previte - batterie
John Zorn - saxophone alto

WAYNE HORVITZ

eLViS PReSLey
Barb Jungr "Love Me Tender" (2005)
ou "Elvis transformé"

Elvis Presley comme vous ne l'avez jamais entendu ! C'est, en bref, le programme que nous propose l'anglaise Barb Jungr sur Love Me Tender , tribute au King du Rock'n'Roll pour le moins surprenant (euphémisme !).
La première surprise est de voir combien le répertoire d'une pop icône peut être retranscrite avec succès dans une conception si diamétralement opposée à son intention originelle. parce que ce jazz fin et nuancé, presque ambient, donne à des mélodies déjà très réussies une toute autre ampleur tant et si bien qu'on ne peut que louer les travaux d'arrangeurs et d'interprètes de la doublette créatrice d'un tel tour de force : Adrian York et Jonathan Cooper, partenaires réguliers de Dame Jungr ici en exceptionnelle forme (re)créatrice.
La seconde surprise est d'entendre une voix féminine se glisser aussi facilement dans les habits d'un sex-symbol si typiquement mâle. En l'espèce Barb Jungr ne tente jamais de s'approcher de l'artiste qu'elle a choisi d'honorer y préférant une sensibilité nettement plus contrastée et, en toute logique, extrêmement féminine. Ce faisant, vocalement, elle crée un toute autre univers, débarrassé de toute testostérone. Et c'est en définitive une excellente nouvelle qui permet d'apprécier à leur juste valeur, sans vouloir à tout prix comparer la reprise à son modèle, des compositions qu'on aurait pu croire à jamais figé en une immuable image d’Épinal rock'n'rollesque.
Certes, les puristes, les fans hardcore d'Elvis the Pelvis ne s'y retrouveront pas forcément, conservateurs qu'ils sont. Pour les autres, ceux qui cherchent avant tout le frisson d'une bonne musique expertement conçue et vectrice d'émotions fortes, Love Me Tender est indéniablement un immanquable. Et ça, ce sera tout sauf une surprise pour qui a gouté aux deux tributes à Bob Dylan commis par une artiste rare et hélas trop méconnue. Love Me Tender est un hommage de grande classe, vous aurez été prévenus.

1. Love Letters (Straight From Your Heart) 3:14
2. Heartbreak Hotel 4:04
3. Long Black Limousine 4:22
4. Wooden Heart 3:07
5. Are You Lonesome Tonight 7:59
6. Kentucky Rain 4:49
7. In The Ghetto 3:40
8. Love Me Tender 5:26
9. Always On My Mind 5:05
10. I Shall Be Released 5:32
11. Tomorrow Is A Long Time 5:58
12. Looking For Elvis 3:44
13. Peace In The Valley 2:58

Barb Jungr - Vocals
Adrian York - Bells, Celeste, Electronics, Organ, Piano, Synthesizer, Backing Vocals, Vocoder, Waterphone
Jonathan Cooper - Clarinet, Main Piano, Sampling
Mario Castronari - Bass, Double Bass
Rebecca Brown - Viola, Violin
Thangam Debbonaire - Cello
William Jackson - Harp
Ian Shaw - Backing Vocals
Mari Wilson - Backing Vocals

BARB JUNGR

FRaNK ZaPPa
Jean-Luc Ponty "Electric Connection/King Kong" (1969/70)
ou "Violon dingue !"

Ladies and gentlemen, le nouveau Ponty est arrivé ! C'est en substance ainsi que pourrait se résumer la période charnière dans la carrière du violoniste de jazz français qui glisse alors vers le jazz électrique, dit fusion, ou "rock" chez nous (sans qu'on sache exactement pourquoi).
C'est aussi la période d'une relocalisation outre-Atlantique et de line-ups qui font venir l'eau à la bouche : Bud Shank, George Duke, Ernie Watts, Ian Underwood, Art Tripp, Frank Zappa... Ha oui, parce que moitié de ce couplage discographique est dédié à Mr. Zappa, repris, adapté et même composant pour Jean-Luc et ses musiciens (dont quelques collaborateurs habituels de Frankie Moustache).
Deux albums, donc. 1969, Electric Connection ou l'apprentissage accéléré et réussi d'un nouveau vocabulaire, d'un nouvel univers sonore où Ponty, violoniste caméléon s'il en fut, se glisse sans effort et, même !, avec une grâce certaine. On n'est pas encore tout à fait dans le jazz fusion, alors tout juste commençant, mais on s'en approche. D'ailleurs, on crédite même l'album d'une véritable influence stylistique de part sa façon de "vulgariser" le jazz pour une nouvelle génération amatrice du secouage de tête au son de la guitare électrique psychédélique qui trouve ici quelques bienvenus ponts vers ses préoccupations tout en restant, fondamentalement, un album de jazz avec une guitare encore timide mais il faut dire que le violon de Ponty prend, logiquement puisque il est le leader, beaucoup de place. Et puis il y a moult cuivres (des sections tour à tour proto-funkées ou big-bandisantes) qui, rythmant, enjolivant la musique méritaient aussi d'être mis en valeur par le mix.
1970, King Kong, c'est tout autre chose ! Déjà parce que le matériau de base (4 reprises du répertoire de Frank Zappa, et un original pour chaque star du disque), en majorité du Zappa donc, s'écarte notablement des canons du jazz classique qu'Electric Connection choyait encore. Ici les amarres sont définitivement larguées ce que Ponty et son violon dingue, et son seul compagnon sur tous les titres qu'il faudrait voir à ne pas oublier d'autant qu'il s'agit du regretté George Duke, ont l'air de particulièrement apprécier. Tout comme les fans du divin moustachu apprécieront la lecture surjazzée et ludique des standards de leur idole ainsi que le solo de Frank, sa seule apparition instrumentale de l'album... Sur la seule composition qu'il ne signe pas ! On mentionnera évidemment la grosse pièce de l'album, Music for Electric Violin and Low-Budget Orchestra et ses presque 20 minutes, où, entre improvisation jazz et classique contemporain prouve la versatilité exceptionnelle tant du compositeur que de son interprète de l'occasion.
Phase exploratoire et démarrage d'une carrière américaine riche qui le verra aussi frayer avec un John McLaughlin et son Mahavishnu Orchestra, la présente doublette, si un peu artificiellement accolée vu l'écart de style, est une réussite à conseiller à tous ceux que le violon jazz meut.

Electric Connection (1969)
1. Summit Soul 4:55
2. Hypomode del Sol 6:27
3. Scarborough Fair/Canticle 3:02
4. The Name of the Game 5:27
5. The Loner 4:29
6. Waltz for Clara 5:09
7. Forget 4:25
8. Eighty-One 6:35

Jean-Luc Ponty – violin
Bud Shank – alto saxophone
Richard Aplan – baritone saxophone
Bob West – bass
Paul Humphrey – drums
Tony Ortega – flute
Wilbert Longmire – guitar
George Duke – piano
Frank Strong, Thurman Green – trombone
Mike Wimberly – bass trombone
William Peterson, Tony Rusch, Larry McGuire, Paul Hubinon – trumpet

King Kong: Plays the Music of Frank Zappa (1970)
1. King Kong 4:54
2. Idiot Bastard Son 4:00
3. Twenty Small Cigars 5:35
4. How Would You Like to Have a Head Like That 7:14
5. Music for Electric Violin and Low-Budget Orchestra 19:20
6. America Drinks and Goes Home 2:39

Jean-Luc Ponty – electric violin, baritone violectra
Frank Zappa – guitar
George Duke – piano, electric piano
Ernie Watts – alto and tenor sax
Ian Underwood – tenor sax
Buell Neidlinger – bass
Wilton Felder – Fender bass
Gene Estes – vibraphone, percussion
John Guerin – drums
Art Tripp – drums
Donald Christlieb – bassoon
Gene Cipriano – oboe, English horn
Vincent DeRosa – French horn, descant
Arthur Maebe – French horn, tuben
Jonathan Meyer – flute
Harold Bemko – cello
Milton Thomas – viola

JEAN-LUC PONTY

HeiToR Villa-Lobos
Cyro Baptista "Vira Loucos" (1997)
ou "Villa-Lobos en mode explosif"

Si on n'attendait pas forcément ce grand malade (et grand talent) de Cyro Baptista sur les terres d'uns des plus fameux compositeurs classiques brésiliens, Heitor Villa-Lobos, force est de constater que la rencontre, plus qu'anecdotique, a produit un album d'une rare préciosité, d'une vraie beauté.
Malin comme un singe, Baptista y choisit, plutôt que de bêtement reprendre approximativement des compositions savantes et complexes, de s'intéresser aux racines de la musique de Villa-Lobos et donc aux mélodies traditionnelles et contemporaines ayant inspiré le compositeur détournant ainsi le propos sans amoindrir l'hommage. Pour parvenir à ses fins, le percussionniste/vocaliste s'est, il faut dire, particulièrement bien entouré avec quelques trublions de la galaxie zornienne (dont Zorn lui-même au saxophone sur quelques pistes !) augmentés de performers brésiliens qu'on imagine acquis d'avant sa relocation à New York City. En résulte un album intelligent, fidèle à l'esprit de Villa-Lobos mais pas outre mesure révérant, une galette colorée, chamarrée, jouée par des musiciens experts s'y amusant visiblement beaucoup (et nous avec !) en explorant un tribalisme percussif et festif sous-jacent chez Villa-Lobos et ici pleinement révélé.
Vibrant et réussi, Vira Loucos est évidemment chaudement recommandé même s'il risque de surprendre ceux qui, simplement attiré par l'identité de « l'hommagé », y découvriront une relecture aussi décapante que divertissante, irrévérencieuse que passionnée de son univers.

1. Dansa 3:33
2. Passion In The Basement 3:31
3. Cantiga 5:47
4. Ama/Teresinha De Jesus 4:52
5. Complaint/Sabia 3:12
6. Choro/Renzinho Caipira 6:40
7. Choros Number 8 3:51
8. Dansa Do Indo Branco 3:31
9. Ciranda 5:09
10. Sapo Cururu 5:02

Cyro Baptista: percussions, voix
Romero Lubambo: guitare, cavaquinho
Marc Ribot: guitare, banjo
Greg Cohen: basse
John Zorn: saxophone
Chango Spasiuk: accordéon
Vanessa Fallabella, Nana Vasconcelos: voix
Akiko Matsumoto, Alessandro Ciari, Carolina Teizeria, Healey Gabison, Kaleb Moreau, Lauren Melquiond, Lira Teizeria, Moran Broza, Roman Broza, Sabina Ciari, Stepanie Teixeira, Tessa Fernandes: chorale

CYRO BAPTISTA

DMiTRi SHoSTaKoViCH
Michael Bates "Acrobat: Music for, and by, Dmitri Shostakovich" (2011)
ou "Welcome to the Shostashow"

Album inspiré par Dmitri Shostakovich, avec un vrai bout de Dmitri Shostakovich dedans, Acrobat est le vibrant hommage d'un contrebassiste canadien, Michael Bates, bien entouré à un compositeur russe ayant dû moyenner, toute sa longue, prolifique et passionnante carrière, avec les sbires et autres apparatchiks du peu fréquentable parti communiste soviétique de la période de glaciation politique dont vous vous souvenez probablement tous (ce n'est pas si vieux après tout).
Présentement, tout commence avec la reprise du piano trio n°2 en mi mineur dit "La Danse de la Mort" admirablement retranscrite pour jazz quintet où Chris Speed, Russ Johnson er Russ Lossing, respectivement à la clarinette, à la trompette et au piano, entrelacent leurs interventions sous la bienveillante supervision de leur leader de la circonstance... Et ça marche si bien que la barre est d'emblée placée très haut. C'est d'ailleurs, en tant que seule composition signée Shostakovich, le reste étant l'œuvre de Bates, une sorte de mètre étalon de ce à quoi on s'attend de l'album. Le reste, entre jazz contemporain et hard bop échevelé, ne décevra heureusement pas. Et si, certes, on a parfois un peu de mal à entendre le Dmitri qui les habite, on est facilement emporté par leur qualité compositionnelle et, forcément, par l'interprétation que ce soit sur les thèmes rêveurs (Talking Bird, Some Wounds, Yurodivy) ou sur ceux plus emportés (Strong Arm, The Given Day). Le tour de force est d'autant plus notable que, de grilles mélodiques en arrangements inattendus, ce n'est pas exactement de musique facile dont il s'agit... Mais pas exactement de musique difficile non plus grâce à la palette mélodique ici offerte.
Recommandé aux amateurs de "jazz qui cherche", aux admirateurs de l'œuvre de Shostakovich aussi, Acrobat : Music for, and by, Dmitri Shostakovich est une vraie belle réussite qui, si elle demande l'attention et l'investissement de l'auditeur pour être parfaitement goûtée, le repaiera au centuple par sa grâce et son intelligence... Un album rare.

1. Dance Of Death 6:24
2. Talking Bird 8:05
3. Strong Arm 7:07
4. Some Wounds 6:59
5. Fugitive Pieces 8:07
6. Silent Witness 9:36
7. The Given Day 7:53
8. Yurodivy 5:19
9. Arcangela 7:02

Chris Speed - saxophone, clarinet
Russ Johnson - trumpet
Russ Lossing - piano, rhodes
Tom Rainey - drums
Michael Bates - double bass

MICHAEL BATES

NiCK Drake
Misja Fitzgerald Michel "Time of No Reply" (2011)
ou "For Nick..."

Sept ans après un premier album remarquable mais pas assez remarqué, le guitariste Misja Fitzgerald Michel revient (toujours chez No Format) avec un hommage à Nick Drake et c'est une surprise après la tendance nettement jazz qu'il avait jadis affiché.
De fait, il suffit de jeter un œil à ceux qui on joué sur l'album pour avoir la certitude que l'œuvre sera folk cette fois, intimiste aussi. Pas que Misja y ait abandonné toute tentation jazzy. Par exemple, la piste éponyme jette un pont gracieux entre Drake et (pour la description) Marc Ribot quand il s'essaye avec réussite à l'acoustique en solitaire.
Forcément, hommage vibrant et révérant, Time of No Reply ne pouvait décemment pas défigurer l'esprit originel de cette musique douce-amère, fragile et MFM y colle parfaitement et n'a souvent pas besoin de plus que d'une guitare pour faire vivre des mélodies dont on redécouvre toute la richesse.
Les pistes plus élaborées ne sont pas en reste pour autant. Pink Moon (chanté ici pas Me'Shell Ngédéocello) est de ces vraies réussites qu'on aimerait entendre plus souvent : une reprise à la fois fidèle et créative, qui respecte sans copie-carbonner. Et que dire de Things Behind the Sun où l'addition de Thibaut Mullings (e-bow et lapsteel) et de Nicolas Repac (programmations) crée le parfait écrin pour la délicate guitare de Misja Fitzgerald Michel...
Le tour de force, évidemment, serait de tenir la distance, ce qui est parfaitement accompli. Il faut dire qu'il y a du talent à revendre ici. Et un audible amour pour l'artiste hommagé. De la grâce. De l'intelligence aussi.
Une réussite, tout simplement.

1. Black Eyed Dog 1:19
2. Time Of No Reply 3:17
3. Riverman 1:30
4. Pink Moon 3:31
5. Things Behind The Sun 3:30
6. One Of These Things First 5:50
7. Way To Blue 4:30
8. Horn 1:12
9. Which Will 3:13
10. Fruit Tree 4:28
11. Know 5:44

Misja Fitzgerald Michel: guitare acoustique 6 et 12 cordes
Olivier Koundoung: violoncelle (2, 6, 7, 11)
Nicolas Repac: programmations (4, 5)
Me'Shell Ngedeocello: chant (4)
Hugh Coltman: harmonica, chant (11)
Florian Monchatre: effets (5)
Thibaut Mullings: e-bow, lapsteel (5)

MISJA FITZGERALD MICHEL

PeTeR GaBRieL
Peter Gabriel/VA "Scratch My Back... And I'll Scratch Yours" (2010/13)
ou "The Great Cover Show"

Scratch My Back (2010)
Sorti en 2010, si Scratch My Back est un album de reprise c'est surtout, du fait du parti-pris ambiento-orchestral de l'instrumentation et des arrangements et de la grande liberté mélodique souvent prise avec les originaux, avant tout un album de Peter Gabriel faisant siennes les chansons d'autres.
C'est aussi un projet double au (double aussi) délai, pour une fois, pas à imputer au perfectionnisme extrême voire excessif de l'ex-frontman de Genesis, Peter ayant attendu que viennent les réponses de ceux qu'il avait choisi de reprendre avant de lancer Scratch My Back en "stand-alone" en attendant la suite (et 2013 avec And I'll Scratch Yours).
Dès Heroes, d'après David Bowie, le setting est établi, ceux qui veulent du pouêt-pouêt, du qui met la banane repasseront, Peter, en mode Reichien dirait-on, susurre un Bowie qu'on n'avait jamais entendu comme ça... Allez, on reconnait le texte mais, sinon, la chanson est méconnaissable et, à vrai dire, un peu ennuyante. Ce que n'est heureusement pas tout l'album qui possède de très bons moments comme le Boy in the Bubble de Paul Simon parfaitement retranscrit. The Power of the Heart de Lou Reed qui, tout en retenue et en tristesse contenue, vous atteint en plein cœur. The Book of Cole, adapté des Magnetic Fields de Stephin Merritt, qui marche formidablement bien en sa zen "cotonosité. Après-Moi de la russo-new yorkaise Regina Spektor, le plus upbeat de l'album, c'est dire !, et aussi une des plus évidentes réussites, où Gabriel se glisse tel un caméléon funambule. Ou, enfin, Street Spirit (Fade Out) de Radiohead, qui n'auraient pas apprécié se retirant du coup du projet And I'll Scratch Yours, pourtant très réussi dans sa dépressive beauté orchestrale. Bref, de quoi se sustenter et faire passer la pilule de versions moins réussies. Loin du désastre que certains se plurent à décrire à sa sortie.
L'occasion de la sortie de son compagnon est trop belle pour ne pas en appeler solennellement à la réévaluation d'une œuvre, comme d'habitude chez le flegmatique mais sensible Gabriel, profondément humaine, à fleur de peau.

And I'll Scratch Yours (2013)
La suite de Scratch My Back... A peine si on s'attendait à la voir atterrir un jour... Et puis voilà, avec quelques variables d'ajustement suite à la défection de quelques participants (nommément Neil Young, David Bowie et Radiohead) le voici ce "Peter Gabriel par les autres".
A l'exemple des libertés que repris a pris avec les chansons d'origine, la tonalité d'ensemble est plus à l'adaptation, la réappropriation qu'à la religieuse fidélité... Avec des bonheurs évidemment divers.
Côté réussites, au petit jeu du contre-pied, les champions sont David Byrne et Stephin Merritt qui ont grosso-modo eut l'idée de transposer Gabriel en électro-pop bien balancée. Byrne garde une petite tête d'avance, il ose plus et chante mieux, mais Merritt gagne la prime à l'humour avec le refrain "chipmonkisé" de Not One of Us... Irrésistible.
Plus fidèles, Bon Iver, Regina Spektor, Arcade Fire, Elbow et Feist réussissent tous leurs versions en gardant la mélodie du maître et la transposant des attributs habituels de leur "trademark sound". Ce n'est pas chavirant mais c'est du bon boulot qu'on écoute avec un grand plaisir.
Sans surprise, Paul Simon a choisi Biko et, sans surprise, il fait dans la délicatesse et le bon goût... Beau final.
Et puis il y a Lou et Solsbury Hill... Alien, définitivement. Vous aimerez ou vous détesterez... Du vrai Lou Reed en tout cas avec la guitare qui "drone", la voix à côté de la plaque et parfaite à la fois. Sauf que la colline qu'on imaginait verdoyante chez le Gab' devient une décharge industrielle lugubre chez Lou... J'ai aimé, mais j'aime me faire mal, parfois...
Côté "oui, mais non", Joseph Arthur ne choque que le Monkey, sa version minimaliste pseudo-éthérée fonctionne mais n'évolue pas, ne s'élève pas... Et finit par lasser. Ennuyeux donc le remplaçant. L'arrangement du Big Time by Randy Newman est sympathique mais Randy chante définitivement de plus en plus mal et casse l'effet de ses couaquements agaçants. Mother of Violence par Brian Eno (qui remplace Bowie en tant que co-compositeur du Heroes repris par Gabriel sur Scratch My Back), ne plait ni ne déplait... On l'oublie vite, ce n'est jamais bon signe... Et c'est tout !
Comme toujours dans les tribute albums, c'est inégal mais plutôt réussi dans l'ensemble, un bel hommage, donc. Les amateurs les plus zélotes de Gabriel grinceront parfois des dents, ceux qui y espéraient une aventure musicale apprécieront.

Scratch My Back (2010)
1. Heroes (David Bowie) 4:10
2. The Boy in the Bubble (Paul Simon) 4:28
3. Mirrorball (Elbow) 4:48
4. Flume (Bon Iver) 3:01
5. Listening Wind (Talking Heads) 4:23
6. The Power of the Heart (Lou Reed) 5:52
7. My Body Is a Cage (Arcade Fire) 6:13
8. The Book of Love (The Magnetic Fields) 3:53
9. I Think It's Going to Rain Today (Randy Newman) 2:34
10. Après moi (Regina Spektor) 5:13
11. Philadelphia (Neil Young) 3:46
12. Street Spirit (Fade Out) (Radiohead) 5:06

And I'll Scratch Yours (2013)
1. I Don't Remember (David Byrne) 3:38
2. Come Talk to Me (Bon Iver) 6:20
3. Blood of Eden (Regina Spektor) 4:39
4. Not One of Us (Stephin Merritt) 3:49
5. Shock the Monkey (Joseph Arthur) 5:49
6. Big Time (Randy Newman) 3:29
7. Games Without Frontiers (Arcade Fire) 3:22
8. Mercy Street (Elbow) 5:28
9. Mother of Violence (Brian Eno) 3:00
10. Don't Give Up (Feist feat. Timber Timbre) 5:28
11. Solsbury Hill (Lou Reed) 5:24
12. Biko (Paul Simon) 4:19

PETER GABRIEL