dimanche 8 septembre 2013

Cool 80s

Miles Davis "Tutu - Deluxe Edition" (1986/2011)
ou "Miles away"


C'est entendu, Tutu est un album mineur dans la riche et massive discographie de Miles Davis... mais c'est aussi une apothéose.

L'apothéose d'un jazz fusionnant et accessible qui, s'il est loin d'égaler les prodiges passés du Maître du Cool (Kind of Blue, Sketches of Spain, Bitches Brew, etc.), aura au moins le mérite de l'introduire auprès d'un public qui, sinon, serait probablement passé à côté du phénomène et de relancer une carrière quelque peu déclinante.

Parce que Miles, en 1986 (année de sortie de l'album), n'est plus que l'ombre du grand jazzman qu'il fut, que ce soit commercialement ou artistiquement. En effet, si Miles avait parfaitement réussi la transition entre jazz classique et fusion progressive échevelée, il peine à se trouver dans ces années 80 où la production fait tout, ou presque. Arrivant sans doute par lui-même à la réalisation de ce constat d'échec, et malin comme un vieux singe, Miles s'entoure de la fine fleur de la nouvelle génération pour un album à visée clairement radiophonique, un compromis sur la forme mais, au final, le meilleur album du trompettiste lors de cette maudite décade.

Il faut dire que, expertement conçu par le bassiste/multi-instrumentiste Marcus Miller, producteur mais aussi compositeur de la majorité de la sélection, pour Miles, Tutu va comme un gant au vétéran trompettiste. Et que si tout n'est pas d'un égal bonheur dans ce jazz pop caressant, quelques sommets, tels que le morceau titre, Portia ou Backyard Ritual (du et avec le regretté George Duke), justifient à eux seuls qu'on se penche sur la galette. Quand, en plus, on considère l'édition deluxe parue en 2011 et proposant un fort agréable live au Jazz Festival de Nice capté en juillet 1986, il n'y a plus beaucoup à hésiter pour célébrer comme il se doit un opus qui vaut plus que par la (magnifique) pochette signée d'Irving Penn.

On n'ira pas dire que Tutu est essentiel, ce serait exagéré, c'est juste un bon petit album marqué par son temps qui, finalement, vieillit plutôt bien... Ce n'était pas gagné d'avance.


Cd 1
Album

1. Tutu 5:17
2. Tomaas 5:37
3. Portia 6:18
4. Splatch 4:45
5. Backyard Ritual 4:50
6. Perfect Way 4:36
7. Don't Lose Your Mind 5:50
8. Full Nelson 5:07

Cd 2
Bonus: Live From Nice Festival, France, July 1986

1. Opening Medley (Theme From Jack Johnson/Speak/That's What Happened) 15:14
2. New Blues 5:20
3. The Maze 10:15
4. Human Nature 9:04
5. Portia 7:54
6. Splatch 17:10
7. Time After Time 7:22
8. Carnival Time 4:20


Miles Davis - trumpet
Marcus Miller - bass guitars, guitar, synthesizers, drum machine programming, bass clarinet, soprano sax
Jason Miles - synthesizer programming
Paulinho da Costa - percussion on "Tutu", "Portia", "Splatch", Backyard Ritual"
Adam Holzman - synthesizer solo on "Splatch"
Steve Reid - additional percussion on "Splatch"
George Duke - keyboards on all "Backyard Ritual"
Omar Hakim - drums and percussion on "Tomaas"
Bernard Wright - additional synthesizers on "Tomaas" and "Don't Lose Your Mind"
Michał Urbaniak - electric violin on "Don't Lose Your Mind"
Jabali Billy Hart - drums, bongos

9 commentaires:

  1. Curieusement, je pense tout le contraire...
    Pour moi, Tutu est un des albums majeurs de la production de Miles.
    Encore une fois, il va oser, user des progrès technologiques et musicaux pour se les approprier et en faire une somme dépassant toutes les précédentes sorties dans le domaine.
    Il aura écouté le "Backstreet" de Sanborn, qui est en quelque sorte son prédécesseur génialissime, et aura su user des capacités extrêmes de Marcus pour lui laisser les clés du camion, arriver et poser sa trompette majestueuse sur cet écrin pré électronique.
    Les compos sont de très haute volée - les arrangements sont dignes d'un Evans voué à l'électronique du home studio.
    Pour une fois mon père me fit une réflexion digne d'intérêt à l'écoute de cet album faisant ressortir que le son et l'émotion de Miles étaient ici exacerbés de par la "froideur" électronique de l'environnement créé par Marcus.
    C'est à partir de là que je n'ai cessé de me pencher sur l'électronique en musique, en bon fan de Miles que je suis et resterais...
    Et j'ai découvert là M Urbaniak, ce violoniste inconnu et à découvrir sans tarder (de même que son épouse la chanteuse Ursula Dudziak, sorte de Laureen Newton en puissance, incontournable pour les fans de Zorn...).
    Merci pour cet article.
    à +

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    1. Majeur si on considère l'aspect commercial parce que, clairement, c'est un Miles à la relance qu'on trouve ici avec le succès qu'on sait. Ensuite, comme tu le dis, les influences sont palpables quand Miles a été avant-gardiste dans ses précédents changement de direction... En ça, ça demeure pour moi un album mineur contrairement à, par exemple, Bitches Brew.

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  2. "Un bon petit album" je vois bien que PETIT dans ta chronique est plein de tendresse et pas diminuant.
    PascalGeorges + Jimmy m'avaient convaincu du grand (hé hé) disque que c'était. Et cet son, cette trompette qui va participer à ma compilation, il se trouve que PORTIA y est présent...

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  3. En 1986 Miles a 60 ans, l'âge de bien des assoupissements, musicaux soient-ils! Lorsque je l'ai (vu) entendu en live pour la 1ère fois, c'est en 1970, au festival de l'île de Wight (bin voui, j'suis pu tou'jeune). Une demi-heure (ou à peu près) non-stop, et là, il a fait très fort, avec devant lui, une marée humaine anesthésiée par un Miles calme, mais exaltant une force surhumaine.
    Entouré par un super group (K. Jarrett, C. Corea, G. Bartz, D. Holland, J. DeJohnette, A. Moreira), il m'est apparu statique, cependant capable d'émouvoir par ses notes (ce son unique) et d'enthousiasmer un grand nombre d'avachis ensukés et de réveiller en eux un instinct tribal, largement enterré par la fumette. Il y a suffisemment de video sur le Net pour se faire son opinion.

    Alors évidemment, Tutu parait un peu léger, mais il contient son (petit) lot de choses intéressantes, et pour une carrière comme la sienne, il avait bien le droit de faire joujou avec les synthés et un swing de complaisance. Se reposer sur ses lauriers (quelle expression!) a parfois du bon.

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    1. En tant que réel inconditionnel de Miles et ce, toutes périodes confondues, mais avec cependant le penchant période dite électrique seventies, je ne peux qu'adhérer à ce propos.
      Dès son retour en 81, j'ai fait une promesse : aller le voir en concert chaque année (j'étais au Chatelet 81 célébrant son retour sur l'hexagone).
      Ce fut fait, cela pour palier à un manque seventies dont l’achat de vinyles hors de budget ne suffisait pas à me satisfaire.
      De CBS, Miles rompit pour Warner et avec ce Tutu il s'engageait encore une fois dans une nouvelle vision.

      Le rapport avec un artiste peut être de taille affective diverse selon l'influence qu'il peut avoir sur une vie.
      Quand j'ai travaillé avec Laurent Cugny, nouveau directeur ONJ venant de sortir son album dédié à miles, nous avions parlé de cela.
      Lui et moi, en inconditionnels du Dark Magus focalisions autour de lui et on constatait que pour d'autres musicos, plus jeunes ou attirés par Trane, ou Bird, ou autre grandes idoles, Miles n'était finalement, comme ces grands suscités, qu'un pan d'histoire, mais aperçu avec globalité, alors que pour nous Miles faisait quelque part partie de notre histoire.
      Depuis toujours j'essaie de faire apprécier (aimer est une autre mission) ou comprendre Miles.
      Son intérêt artistique est sans faille et son chemin est un formidable exemple évolutif et créatif.
      En pédagogue, c'est un exemple de choix.
      Trane aussi, quelque part...
      Hendrix, pour sûr...
      Les Beatles également...

      J'ai donc fait découvrir Miles à travers plusieurs albums prêtés à une une jeune collègue prof de classique un jour de discussions et débats artistiques.
      Dans le lot se trouvait "Tutu" - elle a commencé par hasard par celui ci. Dans un sac mêlant Kind of Blue, Nefertiti ou Live Evil, ce hasard et surtout la réflexion qu'elle n'a pas manqué de me faire sont intéressants ici.
      Elle a trouvé ce disque strange et assez inabordable...

      Donc on en revient bien à une question de recul et d'approche culturelle.
      Il est sur, et ce sans critiquer, qu'un fan de Zorn et donc habitué à des univers musicaux assimilés au jazz puisse trouver Tutu "commercial" et peu intéressant...
      Il est normal qu'un inconditionnel de Miles encense tout ce produisit l'artiste.
      Il est logique qu'une personne novice trouve déjà cet album particulièrement difficile d'approche, voir austère.

      Quoiqu'il en soit, "Tutu", ou tout autre Miles, vous l'aurez compris, je ne vais pas débattre ici du meilleur ou du moins bon Miles.
      A quoi cela servirait t'il ?
      Dans une carrière comme celle de Miles, chaque album est le fruit d'une pensée, d'un souci créatif et évolutif.
      Rien que cela, pour la postérité, impose le respect que j'aurais toujours envers lui.
      Tutu ou autre...


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    2. @ Looping,
      Endormissement créatif à la soixantaine ? Zorn vient d'avoir 60 ans justement et il est toujours autant en éveil. L'exception qui confirme la règle, sans doute. ^_^

      @ Pascal,
      Un jour je m'attaquerai au suivi critique de la carrière de Miles, un jour... Parce que c'est assez énorme et d'une belle consistance malgré quelques faux-pas... Pas beaucoup sur une carrière aussi longue et aussi productive. Oui, Miles était (est !) un grand.

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  4. Tout le monde n'a pas le même assoupissement! Et il n'est pas synonyme de relâchement, mais s'apparente plus à apaisement. Comme une sorte de bain de jouvence, qui délasse et revivifie. Avec Tutu, Miles s'est fait plaisir, et nous avec. Toujours innové, c'est bien, mais y trouver la joie à le faire, c'est encore mieux. Le quart d'heure récré, ou on retrouve les copains et les copines, et on ne pense qu'à en profiter. C'est comme cela que je vois le disque. Ce qui le rend plus abordable à tout un chacun/e.

    Toujours faire référence à Zorn! Et si il n'avait pas existé, qui jouerait au mètre étalon! 60 ans ne veux pas dire gâteux j'en conviens, et fort heureusement.

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    1. Je rectifie ton commentaire : Avec Tutu, Marcus Miller s'est fait plaisir.

      Référence à Zorn, parce que c'est un sujet dont je parle suffisamment souvent pour que ceux qui passent régulièrement sachent de quoi il s'agit.

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