jeudi 6 février 2014

L'esprit de Gil

Gil Scott-Heron "Spirits" (1994)
ou "Un petit tour et puis s'en va"


C'est l'album d'un retour, avant une nouvelle et cruelle séparation. Spirits donc, par un Gil Scott-Heron sans doute trop résistant, trop vocal dans ses prises de positions anti-establishment pour qu'on le laisse s'exprimer, Gil Scott-Heron résistant d'une Amérique qui souffre de n'avoir pas accès aux même privilèges qu'une WASP society qui sait ne pas bouger une oreille quand il le faut et ne résister qu'à l'illusoire et au convenu, Gil Scott-Heron parolier précieux à la verve sans cesse renouvelée contraint au silence par une industrie qui ne le comprend pas, ne l'accepte plus.

A écouter Spirits, on ne peut que rager qu'un artiste d'exception, aujourd'hui disparu, se fit aussi rare dans les trois dernières décennies de sa chaotique et pourtant si riche carrière. Parce que Scott-Heron n'a rien perdu de sa verve et de sa capacité d'analyse sociale et politique, parce qu'aussi les chansons sont de grande qualité avec, en particulier, le triptyque live The Other Side, un remake modernisé de Home Is Where the Hatred Is, qui brille tant musicalement que, évidemment, textuellement où Scott-Heron déverse son âme d'addict résistant (et souvent échouant) dans des paroles d'une rare puissance, ou Message to the Messengers s'adressant à la jeune génération du hip-hop et qui, sans prêchi-prêcha inutile, les avertit d'utiliser avec sagesse leur pouvoir d'influence. On retrouve aussi sur Spirits une adaptation du morceau éponyme de John Coltrane dans lequel Scott-Heron délivre son habituel, mais jamais radotant,  torrent de sagesse insoumise.
Concernant le style même de l'album on constate une obligatoire modernisation de la soul/funk jazzy qui fit connaître Gil Scott-Heron dans les 70s. Acoquinné comme depuis la fin des années 70 avec le bassiste, pianiste et arrangeur Malcolm Cecil, également co-producteur de la galette comme il le fut pour Stevie Wonder lors d'une période particulièrement faste de celui-ci (entre 1972 et 1974), il réussit parfaitement son évolution et son implantation dans les 90s sans jamais trahir ses racines ni même changer ce qui, fondamentalement, fit ce qu'il était. C'est donc avec soulagement qu'on retrouve la belle voix grave de Gil sur un funk jazzy updaté juste ce qu'il faut pour coller à l'air du temps, et d'éviter le piège d'une approche nostalgique pas franchement raccord avec le personnage. Parfait. D'autant que les musiciens enrôlés, dont David Jackson, son partenaire des glorieuses 70s dans un cameo bienvenu, assurent tous du tonnerre de Zeus. On citera, pour l'exemple, le six-cordiste Ed Brady, un habitué de la maison lui aussi, dont la performance de soliste sur The Other Side est simplement éblouissante.

Au final, le seul défaut de Spirits est de ne pas avoir eu de successeur plus immédiat qu'I'm New Here... 16 ans plus tard ! Une éternité où la vie de Scott-Heron passera encore par moult évènements dont deux incarcérations liées à ses, hélas, habituels problèmes d'usage de substances prohibées qui nous privèrent, une immense perte !, de toute présence discographique, de tout nouveau matériau révolutionnaire. Tout ceci fait de Spirits un album rare, une vignette de ce qu'aurait pu être la relance d'une carrière toujours satisfaisante si indéniablement erratique.


1. Message to the Messengers 4:57
2. Spirits 7:48
3. Give Her a Call 5:44
4. Lady's Song 3:14
5. Spirits Past 3:00
6. The Other Side, Pt. 1 5:25
7. The Other Side, Pt. 2 6:10
8. The Other Side, Pt. 3 6:40
9. Work for Peace 7:33
10. Don't Give Up 5:58 


Gil Scott-Heron - piano, vocals
Malcolm Cecil - bass, piano
Fima Ephron, Robbie Gordon - bass
Ed Brady - guitar
Brian Jackson, Kim Jordan, Vernard Dickson - piano
Ron Holloway, Leon Williams - saxophone
Ibrahim Shakur - flute
Larry McDonald, Tony Duncanson - percussion 
Rodney Youngs - drums

10 commentaires:

  1. Un sacré bonhomme... L'un des précurseur du rap!

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    1. Ha si les rappeurs avait fait meilleur usage de son avant-gardisme et plus suivi son modèle... Mais c'est une autre histoire.

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    2. Ils l'ont fait, ils l'ont fait, pas tous mais cela est valable aussi pour le rock, la pop, le metal et tout autre mouvances musicales.

      J'ai d'ailleurs posté aujourd'hui sur mon blog un disque qui prouve que Gil Scott-Heron fut entendu.

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    3. Il y a malheureusement plus d'exemple peu reluisants que de véritables héritiers, qui existent je te le concède.

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  2. Pas l'album que je connais le mieux du regretté Gil. A écouter, donc. En revanche, son dernier a bien tourné par chez moi...

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    1. Son, hélas, dernier a bien tourné chez moi aussi... Mais tous les albums de Gil ont bien tourné chez moi. ^_^

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  3. Je ne connais que le dernier mais j'avais bien aimé...

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    1. Alors teste même si, musicalement, c'est très différent.

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  4. Je ne connais que la période "The Revolution Will Not Be Televised", du coup tu m'intrigues. J'ai pris pas mal de trucs chez toi récemment, du Band au Don Harper, et je ne suis pas sûr d'avoir commenté à chaque fois, je m'en excuse, mais merci pour ces papiers qui donnent toujours autant envie d'écouter tous ces disques ! :)

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    1. Merci ! ^_^ Et pas la peine de t'excuser, je fais moi-même souvent le coup.
      Concernant Spirits, c'est bien l'héritier de la période que tu évoques, un bel héritier que je ne peux que te conseiller d'écouter.

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