jeudi 3 décembre 2015

Zornons à la Lune & More (repost et requête et surprise)

Suite à l'officielle cessation d'activité de la formation après son 7ème album, The Last Judgment, il n'est que temps de revenir sur un trio d'exception et son excellente discographie : Moonchild. Comme s'en seront rendus compte les fidèles de la maison, ceci est un repost suite à une requête et donc une seconde chance pour ceux qui auraient raté quelque chose. Enjoie !

PReMieRS CRiS
John Zorn/Moonchild "Moonchild" (2006)
ou "Le pécher originel"

Une relecture du rock dur filtré au classique contemporain et au rock progressif ? Un objet musical non identifié d'un compositeur à la largissime palette ? Un nouveau power trio mais pas un power trio de plus ? C'est tout ça Moonchild, création de John Zorn pour voix, basse et batterie.
Fondamentalement, il n'est pas surprenant de voir Zorn s'embarquer dans telle aventure, que ce soit avec Naked City, Painkiller, son apparition dans Praxis, et jusque Masada et son exemplaire mouture électrique, on sait que le turbulent new-yorkais a, aussi, un certain goût pour le bruit blanc qu'il soit punk, hardcore ou metal. Et puis les trois intervenants choisis, du fidèle batteur Joey Baron au régulier de la quatre corde électrique Trevor Dunn à un Mike Patton vocaliste aussi à son aise dans le bruitisme que dans l'harmonie que Zorn a déjà régulièrement croisé, ce ne sont que des têtes familières qui occupent l'affiche, et avec une telle qualité "à portée de main" il aurait tort de se priver, ce bon John. La musique du trio, d'ailleurs, est à l'avenant, habituelle et surprenante à la fois. En effet, qu'on y retrouvent compilés une esthétique contemporaine, un abattage empruntant autant au metal le plus prospectif qu'au punk le plus implacable, des fantômes directement issus du free jazz, celui de Carl Stalling, et du Rock in Opposition (la forme la plus extrême du rock progressif représentée, par exemple, par les mabouls d'Henry Cow), aussi, est tout sauf une surprise considérant que tous ces éléments (et de nombreux autres présentement inexploités) font partie intégrante de sa "grammaire" musicale. Des surprises sur la forme, peut-être ? Même pas en vérité, le format chanson déstructurée ayant été choisi ce qui est tout sauf une nouveauté. Et là, il y en a qui commence à flairer le négativisme à tous crins alors que, crénonvindiou, Moonchild, avec les feulements, grognements, cris et mélodies de Patton, un Dunn qui, sa basse livrée à elle seule comme instrument mélodique, a tout loisir de se déchainer et ne s'en prive pas, et un Joey Baron étalant, sans arrogance, sans recourir à une performance démonstrative à l'excès, la très large palette percussive qu'on lui connaît. Et c'est donc dans le fond, dans les compositions possédées d'un Zorn mode "prêt à en découdre" et dans la performance de chacun des trois mabouls adoubés que Moonchild fait la différence, et quelle différence ! Parce qu'outre sa furie évidente, son chaos organisé, le machin est aussi un épatante création sonore qu'on se plait à disséquer bien des écoutes après la baffe originelle prise à la première rencontre.
Moonchild ? C'est de la musique avant tout mais c'est aussi, et c'est lard qu'on perd les estomacs fragiles, un grand 8 et un train fantôme musical. Et un opus inaugural d'une formation qu'on ne saurait trop recommander.

1. Hellfire 4:07
2. Ghosts of Thelema 4:32
3. Abraxas 3:13
4. Possession 5:21
5. Caligula 1:47
6. 616 5:20
7. Equinox 4:07
8. Moonchild 6:51
9. Part Maudit 2:49
10. Summoning 2:30
11. Sorceress 4:37

Joey Baron - drums
Trevor Dunn - bass
Mike Patton - voice
John Zorn - composition, production, arrangements, direction

Mike Patton, chante, parle, hurle... et on aime ça !

VoLuMe II
John Zorn/Moonchild "Astronome" (2006)
ou "Décollage immédiat"

On prend les mêmes et on recommence ? Oui et non parce que, sur la lancée d'un premier opus plus que convaincant, Zorn élargit encore le spectre, et son ambition.
Concrètement, Astronome est un opéra en trois actes, un opéra uniquement joué par le même trio qui a si bien réussi son coup de force originel six mois plus tôt, un opéra minimaliste donc, à la fois contemporain, jazz et rock qui parvient, trop fort, à transcender chaque genre auquel il s'intéresse. La base sonique, évidemment, les mêmes intervenants étant impliqués, est assez similaire à ce qu'on a déjà entendu, la forme par contre, et même le contenu, pousse encore un peu plus les limites de ce qu'on peut produire avec un line-up si réduit. Trois actes, trois titres donc, chacun de plus de 10 minutes, Zorn n'a décidément pas froid aux oreilles. Et c'est assez extraordinaire de maîtrise furieuse, de grâce occulte. Parce que, évidemment, et ce ne sera une surprise pour personne, la base textuelle de la chose tient du grand malin, de la magie noire et autres étrangetés qui collent si bien avec l'imagination musicale de Zorn. Or donc, on y retrouve la patte Moonchild, cette "free aggression" intelligente et nuancée si immédiatement identifiable, mais tout va plus loin, cette fois avec, notamment, une partition diablement plus ambitieuse que, pourtant, le trio démonique habite sans apparente difficulté. Ca crie, ça frappe, ça charcle mais ça sait aussi se ménager quelques plages plus mélodiques, éthérées mais toujours aussi malsaines, comme autant de répits avant de replonger dans la tempête. En vérité, on peine à justement décrire le fracas d'harmonie, d'ambiances et d'idées qui se disputent sur cet opus aussi indescriptible que jouissif, si vous avez l'estomac pour ce genre de chose qui n'est jamais très accessible, ceci se devait d'être précisé parce que Moonchild, ce n'est pas de la rigolade. Le mieux, c'est toujours le mieux d'ailleurs, est de vivre cette grande marée émotionnelle qui balaye tout sur son passage.
Et dire qu'ils ne sont que trois ! On voit mal comment John Zorn aurait pu plus pleinement exploiter les capacités et les obligatoires limites qu'avec ce Astronome dépassant, ce qui n'était pas gagné d'avance, son devancier en classe et en folie. Pas étonnant qu'à partir de là il ait toujours choisi, au moins sur une partie de l'album, d'adjoindre quelques compléments à son trio de base, à commencer par le légendaire, peut-être le sommet de la discographie de Moonchild, Six Litanies for Heliogabalus. Mais ça, c'est une autre histoire qui ne doit aucunement vous éloigner de ce second chapitre, cet Astronome si réussi et si recommandable alors, soyez curieux, laisser vous chahuter.

1. Act 1 14:34
I. A Secluded Clearing in the Woods 
II. A Single Bed in a Small Room 
III. The Innermost Chapel of a Secret Temple 
2. Act 2 17:02
I. A Mediaeval Laboratory 
II. In the Magick Circle 
3. Act 3 12:44
I. A Barren Plain at Midnight
II. An Unamed Location

Joey Baron - drums
Trevor Dunn - bass
Mike Patton - voice
John Zorn - composition, production, arrangements, direction

Joey Baron, bat comme si sa vie en dépendait

LyRiQue, oPéRaTiQue
John Zorn/Moonchild "Six Litanies for Heliogabalus" (2007)
ou "Toute pompe dehors"

Ayant probablement un peu fait le tour du format précédent de la formation, désireux aussi de continuer à travailler avec le trio qu'il a créé, John Zorn relance son Moonchild en version opératique. Sur le papier, une bonne idée.
Et dans les faits, une excellente ! Et un radical changement parce que, avec en plus du trio indéboulonnable un Zorn qui repique à l'alto, une Ikue Mori qui vient faire chanter son laptop, un Jamie Saft à l'orgue ronflant et trois, oui, trois !, vocalistes venues "opératiser" tout ça encore un peu plus avant, on peut dire que le changement est radical. Et donc six litanies pour le dieu du soleil syro-romain ou pour l'empereur romain du même nom. La réponse est dans l'inspiration francophile dadaïste de Zorn et donc chez Antonin Artaud et son texte Héliogabale ou l'Anarchiste couronné mais comme ledit empereur fut prêtre du premier, la pomme ne tombe jamais loin de l'arbre, quoi. Ces considération conceptuelles, mais d'importance néanmoins puisqu'inspiratrices de la création, passées, qu'en est-il de l'aspect musical de ce saillie historico-mystique ? Salutairement, on reconnaît tout de même le trio des deux précédents opus mais là où il était nippé de guenilles qu'on ne le l'aurait même pas laissé entrer à un bal des pompiers du 14 juillet, le voici revêtu d'un seyante et très étudiée tenue de bal que même le plus sélect des clubs ne saurait refuser. Comparaisons costumières mise à part, c'est à une bluffante démonstration à laquelle nous sommes conviés où les apports additionnels, tout sauf envahissants, poussent le souffle lyrique permettant au trio de s'exprimer avec d'autant moins de retenue qu'ils ne sont plus seuls. Et donc, Litanie après Litanie, on apprécie l'art consommé du compositeur d'ainsi mêler, sans effort malgré le chaos, un chœur de trois voix et son indéniable porté opératique à un trio radical, les interventions de l'orgue de Saft et les courtes saillies saxophoniques de Zorn, et l'électronique texturante d'Ikue, mais aussi les pleins et les déliés, les hausses d'intensités et les moments de recueillement venant, comme autant de salutaires pauses, tempérer l'orage et le rendre, conséquemment, encore plus imposant quand il se produit (ce qui est souvent, parce que c'est bien de Moonchild dont il s'agit).
En élargissant la gamme, la palette sonore de son projet, Zorn accomplit, comme nous le savons désormais, un de ses hauts-faits et, ultimement, l'album le plus réussi de sept du présent projet. Un album tout sauf facile d'accès mais qui, pour ceux qui sauront s'accrocher, lui donner toute l'attention qu'il mérite, dévoilera moult merveilles. Six Litanies for Heliogabalus ? Une folie extrêmement rondement menée et définitivement recommandée.

1. Litany I 7:53
2. Litany II 7:06
3. Litany III 10:36
4. Litany IV 8:13
5. Litany V 4:30
6. Litany VI 6:16

John Zorn: alto saxophone, composition, production, arrangements, direction
Joey Baron: drums
Trevor Dunn: bass
Mike Patton: voice
Ikue Mori: electronics
Jamie Saft: organ
Martha Cluver: vocals
Abby Fischer: vocals
Kirsten Soller: vocals

Trevor Dunn, 4 cordes bien martelées

eXTRêMe MySTiCiSMe
John Zorn/Moonchild "The Crucible" (2008)
ou "Back to Basics and More"

Sur la lancée d'un Six Litanies for Heliogabalus instrumentalement richement doté, John Zorn recadre le projet Moonchild autour du trio originel sans oublier de s'inclure au mix pour un album, on peut le dire, sans le moindre compromis mais pas sans ses particularismes.
Mais, ne nous mentons pas, si l'album n'a clairement rien d'indigne, c'est une belle réussite de plus pour le trio présentement supplémenté de son compositeur au sax alto et de Marc Ribot sur un titre, on est un peu déçu. Une raison à ça ? Six Litanies for Heliogabalus, la précédente livraison de la formation qui, plus arrangée, plus variée, avait fait fort, très fort. Du coup, ce relatif retour à la normale, et à une inclinaison stylistique plus proche des deux premiers albums de Moonchild, laisse un peu l'auditeur sur sa faim. Ceci dit, la présence de l'alto de Zorn est une excellente nouvelle. Cette fois aucunement noyé dans la masse d'Heliogabalus, il apporte, entre stridences et harmonie, un vrai plus au son du trio, et encore plus sur un 9x9, indéniable sommet de l'album, quand il est soutenu par la grâce d'un Ribot en forme guerrière, ce qui donna sans doute des idées à Zorn quand à la suite à donner aux évènements. Présentement, passée le choc du "repli sur soi", on obtient la galette la plus accessible, jusque là, de la turbulente formation parce que, au-delà de l'obligatoire folie habitant les prestations d'un Patton possédé, d'un Dunn pilonnant ses quatre cordes en un parfait compromis de puissance et de finesse, et les nombreux patterns et intermèdes scientifiquement concoctés par un certain divin chauve (Joey Baron bien sûr !), ça envoie pas mal ! Mais, cette fois, quand Patton et Zorn s'harmonisent (sur un passage quasiment klezmer sur Almadel, par exemple), ou dans des morceaux à la construction toujours expérimentale, pas de refrain/couplet/refrain ici, mais plus préhensible, on tient le Moonchild le plus aisément recommandable au newbie qui ne sait pas ce qu'il l'attend, et aura tout de même un sacré choc, évidemment.
Or donc, The Crucible n'est pas le meilleur Moonchild, c'est un fait. Ce n'est cependant pas une raison de le démettre parce que, premièrement, c'est tout de même un excellent album et, deuxièmement, parce que relativement abordable, il constitue une idéale po porte d'entrée dans le monde occulte et chaotique de l'inspirée formation.

1. Almadel 7:10
2. Shapeshifting 3:19
3. Maleficia 8:13
4. 9x9 5:37
5. Hobgoblin 2:54
6. Incubi 7:44
7. Witchfinder 3:44
8. Initiate 5:41

Joey Baron - drums
Trevor Dunn - bass
Mike Patton - voice
Marc Ribot - guitar (4)
John Zorn - saxophone alto, composition, production, arrangements, direction

On se connaît, non ?

éPiQue!
John Zorn/Moonchild "Ipsissimus" (2010)
ou "Mythe et Légende"

Un de plus, pas un de trop et certainement pas le moins conseillé de la majestueuse lignée, Ipsissimus (featuring guitar god Marc Ribot), est une nouvelle déclaration d'intention magistrale d'un compositeur et présentement saxophoniste (John Zorn) et de sa formation alors la plus radicale (Moonchild). Brave gens, soyez prévenu, ça ne plaisante pas !
Dans les faits, Ipsissimus est la suite tout à fait logique de The Crucible et, plus précisément, d'une de ses pistes, 9x9, où déjà le présent quintet était à l'œuvre, preuve que Zorn a bien entendu le bénéfice d'avoir un si précieux et furieux guitariste de la trempe d'un Marc Ribot additionné au trio dans lequel il s'est maintenant incrusté depuis trois albums (à partir de Six Litanies for Heliogabalus et pour la dernière fois de la discographie de la formation, d'ailleurs). Evidemment, on reconnaît la patte désormais bien établie de Moonchild, cette mixture de musique contemporaine d'avant-garde, d'agression punk/metal et de free jazz, le tout chapeauté par un occultisme décidément chevillé à l'inspiration du compositeur new-yorkais. Evidemment, les performances désormais familières d'un Patton dans tous ses états (cris, murmures, chant), d'un Dunn toujours aussi solide et inspiré et d'un Baron batteur inventif s'il en fut, sont toujours au rendez-vous de la galette mais, cette fois, du fait de la double contribution de l'alto de Zorn et de la guitare très électrique de Ribot, c'est à une authentique, jouissive, énorme fête à laquelle nous sommes conviés. Parce qu'en plus les compositions sont bonnes, et savent alterner douceur et violence en un magnifiquement précaire équilibre qu'il fait plaisir d'entendre. En vérité, avec un groupe se connaissant parfaitement pour avoir, parfois presque tous ensembles, participé à de nombreux projets fomentés par John Zorn, nous nous retrouvons en territoire presque familier avec des échos de Naked City, du Masada électrique, d'Hemophiliac... Un territoire seulement presque familier parce que la fusion ici proposée a sa propre identité, sa propre alchimie qui, présentement, fonctionne tellement bien qu'on n'a pas à beaucoup exagérer pour crier au génie.
Et donc, avec Heliogabalus qu'on n'oublie pas, Ipsissimus constitue le sommet de la discographie de Moonchild. Mais là où l'autre mastodonte reposait sur l'ambition et la richesse du son, sur un côté opératique aussi assumé que satisfaisant, le présent ne doit ses mérites qu'à la partition et la complicité d'instrumentistes exceptionnels. En plus, il n'est pas, tout en restant fermement chaotique et sans compromis, aussi difficile d'accès que ça... En bref, si vous ne devez écouter qu'un seul Moonchild, Ipsissimus est celui-là !

1. Seven Sigils 6:39
2. The Book of Los 8:21
3. Apparitions I 3:45
4. Supplicant 5:33
5. Tabula Smaragdina 6:12
6. Apparitions II 4:10
7. The Changeling 6:32
8. Warlock 4:57
9. Apparitions III 3:10

John Zorn: alto saxophone, piano, composition, arrangements, direction
Joey Baron: drums
Trevor Dunn: bass
Mike Patton: voice
Marc Ribot: guitar

Marc Ribot, punk à lunettes !

ô TeMPLieRS!
John Zorn/Moonchild "Templars: In Sacred Blood" (2012)
ou "Moonchild for dummies"

Si aucun des albums de Moonchild ne se ressemble, tous possèdent un similaire esprit fondeur, une rare liberté de ton qui peut déconcerter. Il n'y avait, à priori, aucune raison que Templars-In Sacred Blood, 6ème levée d'une formation à géométrie variable, enfreigne cette règle.
Templi Secretum, premier titre, sorte de heavy prog'n'core possédé montre une étonnante facette, plus orientée vers le format chanson, qui est définitivement une nouveauté bientôt confirmée par le rampant et flippant Evocation of BaphometMike Patton (voix murmurée, glaciale) excelle. Et ça continue comme sur tout l'album ! Certes, l'académisme n'est pas exactement ce qu'ont à l'esprit Zorn (auteur, compositeur et arrangeur), son trio (Baron, Patton et Dunn) et l'invité de la galette, l'organiste John Medeski, et si l'écriture, cette fois, peut paraître plus conventionnelle, plus cadrée, c'est peut-être simplement parce que Moonchild a produit son album le plus mélodique ce qui ne va pas sans conséquence. En effet, souvent, par le passé, le rôle de Patton se limitait à des exercices de gorge plus destinés à vriller les tympans qu'à modeler un récit, véhiculer une émotion, et ça avait son effet (parce que Patton sait faire ce genre de chose) et collait parfaitement à l'univers de chacun des albums. Là, avec un nouveau panorama, Patton retrouve la pleine amplitude de son registre, quelque chose qu'on avait plus entendu depuis l'Anonymous de Tomahawk voire depuis que Mr. Bungle et Faith No More avaient plié les gaules, c'est dire si c'est une bonne nouvelle et si sa contribution permet d'enrichir notablement l'étendue émotionnelle de la galette. La seconde « star » de l'album est indéniablement Medeski et son orgue qui créent des climats, des ambiances habillant à la perfection chacune des montées de sève, chacune des accalmies... Il fait peut-être même ici sa plus notable performance en collaboration avec John Zorn. Et il ne faut, bien entendu, pas oublier la formidablement adaptable section rythmique composée du vieux compagnon de route qu'est Joey Baron (batterie) et du bassiste Trevor Dunn qui, du fait de l'absence de guitariste, assume ponctuellement le rôle, avec brio, comme il se doit.
Pour expliquer à quel point ce Templars est étrange, si on devait le décrire avec quelques autres références musicales on citerait, pêle-mêle, Soft Machine, Procol Harum, Ruins, Black Flag, King Crimson, SunO))) ou Black Sabbath... Rien que ça ! Le miracle, en l'occurrence, est la cohérence de ce concept album (sur les Templiers), oeuvre vénéneuse, attirante et si étonnamment peu difficile qu'on la conseillera volontiers à tous ceux qui veulent entendre Zorn versant rock et ne savent par où commencer avec l'assurance de récolter quelques remerciements.
Comme quoi, quand l'ambition rencontre le talent (le génie ?), tout devient tout de suite plus simple... Même si Templars ne l'est pas pour autant.

1. Templi Secretum 5:34
2. Evocation of Baphomet 5:27
3. Murder of the Magicians 4:14
4. Prophetic Souls 6:21
5. Libera Me 3:21
6. A Second Sanctuary 6:07
7. Recordatio 3:54
8. Secret Ceremony 9:16

Joey Baron - drums
Trevor Dunn - bass
John Medeski - organ
Mike Patton - voice
John Zorn - composition, production, arrangements, direction

John Medeski, doigts agiles

DeRNieR CHaPiTRe
John Zorn/Moonchild "The Last Judgment" (2014)
ou "Coucher de Lune"

Moonchild c'est fini !, voilà, c'est dit, les amateurs d'Art-Jazz-Core mystique et déjanté devront dorénavant chercher ailleurs leurs frissons musicaux. Mais quel parcours, 7 albums, comprenant le présent The Last Judgment, suite instrumentale et thématique de son prédécesseur, Templars: In Sacred Blood puisque cette fois encore dédié à la légende des Templiers.
On y retrouve donc, en toute logique, exactement la formation de 2012 soit le trio de base de la formation; Patton à la voix, Baron à la batterie et Dunn à la basse, augmenté de l'excellent John Medeski à l'orgue; pour un résultat forcément musicalement cousin, frère même avec sa construction en montagnes russes alternant calme théâtralité et psychotiques déluges électroacoustiques en neuf chapitres s'enchainant en une unique pièce conceptuelle, tel un opéra post-apocalyptique. Surpenant ? Sans doute pas mais un satisfaisant opus quoiqu'il en soit parce que des mélodies, nombreuses et inspirées, aux ambiances, réussies et prenantes, c'est tout le charme radical d'une formation d'exception qu'on retrouve, une dernière fois.
Si Ipsissimus restera à jamais la création la plus aboutie de John Zorn pour Moonchild, retournez-y vous ne serez pas déçus, ce Dernier Jugement ne dépare pas dans l'impeccable collection et constitue, ultimement, une fin en presque apothéose d'un projet que, nul doute, on regrettera.

1. Tria Prima 3:28
2. Trinity 5:22
3. Resurrection 4:20
4. Le Tombeau de Jacques de Molay 4:24
5. Sleepy Hollow 2:41
6. Friday the 13th 3:44
7. Misericordia 5:50
8. Incant 4:28
9. Slipway 6:19

Joey Baron - drums
Trevor Dunn - bass
John Medeski - organ
Mike Patton - voice
John Zorn - composition, production, arrangements, direction

Patton, Medeski, Zorn, Dunn, Baron...LIVE!
(de gauche à droite)


Et, pouf !, en bonus des albums qu'on m'avait demandé en septembre (un certain B_B) et que je glisse ici ! C'est déjà Noël chez le Zornophage !
 
My CRaZy VaLeNTiNe
John Zorn "Valentine's Day" (2014)
ou "Electric Contemporary"

Du rock contemporain, comme on dit du classique contemporain, mais du rock quand même... Drôle de programme que celui proposé à Marc Ribot, Trevor Dunn et Tyshaw Sorey (surtout Tyshaw complétant présentement les sessions d'Enigmata (2011)) par ce diable de John Zorn.
Au programme, 12 miniatures (comprendre ayant la durée d'une pop song moyenne), 12 énigmes puisque c'est ainsi qu'elles sont sous-titrées et ordonnancées, spécialement composées, et dirigées, par John Zorn, avec toute la latitude qu'il laisse habituellement à ces musiciens qu'il connaît si bien.
A commencer par Marc Ribot qui, ô combien versatile et si immédiatement reconnaissable à la fois, est évidemment la personnalité centrale de l'opus, celui par qui, grâce à qui son identité s'affirme. Et il est aussi là le choix "éditorial" de Zorn qui, tel un directeur littéraire, choisi sa plume en fonction du ton vers lequel il tend. A partir de là, si vous connaissez les deux oiseaux et leurs nombreuses collaborations, il n'est pas difficile de deviner à quelle sauce on va être mangé.
Et donc, ça dépote sévère, ça ne se soucie pas forcément toujours de développer un mélodie agréable, c'est agressif, mal embouché avec parfois, parce que sinon ce serait trop, quelques instants d'une grâce d'autant plus resplendissante qu'elle est fugitive.
Facile ? Certainement pas. Pour qui alors ? Pour ceux qui aiment le math rock bizarroïde d'Ahleuchatistas, le zeuhl barjot des japonais de Ruins, à ceux qui se demandent à quoi resemblerait une rencontre avec les frangins canadiens de NoMeansNo aussi, sûrement à ceux qui voudraient s'essayer à une sorte de post-punk arty dénué de tout cliché.
Et le titre, trompeur le titre... Aimer se faire mal ? Ca aidera. Aimer les nouvelles expériences surtout, du Zorn contemporain en version rock/punk, c'est un pont entre deux mondes qu'il n'est pas inutile de franchir, quelque soit son point d'origine.

1. Potions and Poisons (enigma one) 3:04
2. Fireworks (enigma two) 3:37
3. Blind Owl and Buckwheats (enigma three) 4:29
4. Abramelin (enigma four) 3:19
5. Seven Secrets (enigma five) 2:53
6. Before I Saw the Spirit of a Child (enigma six) 4:39
7. UX (enigma seven) 4:04
8. The Voynich Mandala (enigma eight) 4:32
9. Codebreaker (enigma nine) 4:31
10. Map (enigma ten) 3:40
11. Black Mirror (enigma eleven) 2:18
12. And the Clouds Drift by (enigma twelve) 2:47

Marc Ribot - electric guitar
Trevor Dunn - electric 5 strings bass
Tyshawn Sorey - drums
John Zorn - composition, direction, production

Tyshawn Sorey

Qui eST La PLuS BeLLe ?
John Zorn "In the Hall of Mirrors" (2014)
ou "New Trio"

S'il arrive sur la queue de la comète que fut le Book of Angels Vol. 21 d'Eyvind Kang, une merveille ! ceci dit en passant, la nouvelle création du stakhanoviste new-yorkais John Zorn se doit de ne pas être négligée.
D'une parce qu'elle propose un nouveau trio, ce qui n'arrive pas si souvent dans une écurie de musiciens étendue et versatile dans laquelle le compositeur peut puiser à loisir, avec cependant un vénérable ancien, le fidèle d'entre les fidèles contrebassiste Greg Cohen.
De deux parce que la musique qui y est proposée, louvoyant entre exigence contemporaine et swing expert, y est d'une beauté, d'une luminosité... Comme la galerie des miroirs du Château de Versailles à qui elle emprunte le titre et le visuel d'habillage mais en moins clinquant, en moins rococo/milliardaire russe/sofia-coppola-ladurée (rayez les mentions inutiles), parce que Zorn a du goût, évidemment.
Concrètement, comprenant six pièces rondement menées par le piano de Stephen Gosling pour un peu moins de 50 minutes, In the Hall of Mirrors pourrait, si on cédait à la facilité, être comparé à moult autres projets du compositeur. On évoquera, par exemple, un Gnostic Trio où la responsabilité de soliste aurait été transféré de la guitare de Frisell et du vibraphone de Wollesen vers le piano du susnommé sur une partition notablement intensifiée, ou à l'admirable Dreamachines sorti l'an dernier avec un composition instrumentale seulement augmentée des marteaux tapants du même Magic Kenny W. ce dernier doté d'une contemporanéité nettement moins exacerbée, cependant. De fait, c'est un bon résumé, mais seulement un résumé !, d'un album qui n'oublie jamais d'être mélodique même quand il glisse vers des territoires plus exigeants. Parce que Zorn, tenant en Gosling un pianiste d'exception ayant d'ailleurs publié quelques albums chez l'excellente maison Naxos, lui a préparé une partition puisant dans les capacités techniques d'un "exécutant" aussi bien capable de jazzer, y en a !, que d'explorer expertement les aspects classiques et avant-gardistes, parties intégrantes de son art.
Evidemment, si Gosling et la partition du Maître sont les attractions principales de cette Galerie des Miroirs, on n'en oubliera pas l'impeccable et versatile socle rythmique pourvu par la contrebasse sûre de l'ami Cohen et la jeu sur les peaux et les cymbales de Tyshawn Sorey qui, taillé comme un truck américain (genre Buddy Miles, voyez) délivre, en puissance, technique ou inventivité, une prestation si extraordinaire qu'on a parfois l'impression que Kali l'a doté de quelques membres supplémentaire. Pas tout à fait étonnant pour un gars ayant joué avec quelques pontes tels que Wadada Leo Smith, Steve Coleman, Vijay Iyer, Dave Douglas, ou Anthony Braxton, mais une révélation tout de même.
On précisera que si, souvent, Zorn laisse une large part d'improvisation à ses musiciens, ce ne fut pas le cas ici où tout est très écrit justement pour profiter au maximum des doigts d'or de Gosling. Sans doute y a-t-il un fantasme de virtuose frustré là-dessous, au résultat, on ne s'en plaindra pas.
Je l'avoue, j'ai parfois envie de dire du mal de John Zorn, juste histoire de rompre la routine louangeuse. Mais non, parce qu'à 60 piges maintenant passées, les idées claires, le regard perçant et la mine vive, Zorn se répand musicalement comme un jouvenceau courant la gueuse aux premières sèves printanières. De la joie, il en prend et en donne beaucoup en retour aussi, par son art multiple, sa capacité à sans cesse trouver de nouvelles mélodies, de nouveaux horizons, de nouvelles options toutes aussi viables les unes que les autres. Alors, qu'il joue ou pas pendant les sessions, chaque parution discographique de Master Z est un évènement, celle-ci presque plus qu'une autre, serait-on tenté d'avancer... C'est dire si on recommande ce délicieux, précieux et virtuose In the Hall of Mirrors, en attendant la suite, vite !

1. Epode 5:47
2. Maldoror 10:08
3. Tender Buttons 4:50
4. In Lovely Blueness 11:01
5. Illuminations 12:09
6. Nightwood 4:48

Stephen Gosling - piano
Greg Cohen - bass
Tyshawn Sorey - drums
John Zorn - composition, direction, production

Greg Cohen


Le Bonus du Bonus, une spéciale dédicace à Keith Michards qui sinon va encore se plaindre qu'il n'y en a que pour Zorn, ici. Alors spécialement pour lui mais au bénéfice de tous les autres, ceux qui aiment le rock'n'roll bien gras, un incontournable du genre :

TouT CuiR !
Turbonegro "Scandinavian Leather" (2003)
ou "Dedicated to KM but he wasn't listening"

Le wokenwol, tu vois, c'est avant tout une question d'attitude. Si tu l'as pas, t'es qu'un imbécile qui chante des textes idiots sur quelques accords simplistes répétés... ad nauseam.
Les faits : Turbonegro sont norvégiens (mais ça importe peu en fait), leur musique combine glam, punk et hard rock (ça, c'est plus important !), ils clament être influencés par Black Flag, les Rolling Stones, Kiss, Radio Birdman, AC/DC, les Stooges, les Ramones, Alice Cooper (etc., ces gens ont du goût), Scandinavian Leather est leur 6ème album (depuis 1992) et était leur album de reformation après une courte séparation.
Mais... Surtout... Turbonegro font du wokenwol ! Du qui sent le cuir, la bière pas assez fraiche, la sueur de la veille, le liquide séminal et le sang frais. Oui, tout ça !... Alors, j'en conviens, il n'y a rien d'original là dedans, juste une tonne de conviction et une avalanche d'énergie qui récure les oreilles, fait taper du pied et hocher béatement, et non pas bêtement, du chef... C'est, après tout, tout ce qu'on recherche dans le wokenwol, non ?
Un dernier conseil : play it loud !

1. The Blizzard of Flames 1:57
2. Wipe It 'til It Bleeds 3:43
3. Gimme Some 3:11
4. Turbonegro Must Be Destroyed 3:10
5. Sell Your Body (To The Night) 4:29
6. Remain Untamed 4:16
7. Train of Flesh 3:46
8. Fuck the World (F.T.W.) 4:12
9. Locked Down 3:21
10. I Want Everything 2:51
11. Drenched in Blood (D.I.B.) 3:58
12. Le Saboteur 2:56
13. Ride With Us 4:34

Hank Von Helvete - vocals
Euroboy - Lead guitar
Rune Rebellion - Rhythm guitar
Pål Pot Pamparius - Keyboards, Saxophone and percussion
Happy-Tom - Bass guitar
Chris Summers - drums
&
Krisvaag
- Drums on "The Blizzard of Flames"
Ivar Winther - Flute on "Wipe It 'Til It Bleeds"
Mariann Thomassen - Additional Backing Vocals on "Train of Flesh"
Tomas Dahl - Additional Backing Vocals on "Drenched In Blood (D.I.B.)"
Torgny Amdam - Additional Backing Vocals on "Ride With Us"

Les Villag... Heu, non, pardon, TURBONEGRO !

9 commentaires:

  1. Zornons à la Lune (repost et requête et surprise)

    John Zorn/Moonchild "Moonchild" (2006)
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    John Zorn/Moonchild "Astronome" (2006)
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    John Zorn/Moonchild "Six Litanies for Heliogabalus" (2007)
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    John Zorn/Moonchild "The Crucible" (2008)
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    John Zorn/Moonchild "Ipsissimus" (2010)
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    John Zorn/Moonchild "Templars: In Sacred Blood" (2012)
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    John Zorn/Moonchild "The Last Judgment" (2014)
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    John Zorn "Valentine's Day" (2014)
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    John Zorn "In the Hall of Mirrors" (2014)
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    Turbonegro "Scandinavian Leather" (2003)
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  2. C'est le "Never Ending Tour" de Zorn…

    Jean-Paul

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  3. Si je comprends bien, ton pseudo aurait donc un rapport avec John Zorn !!!!! ;-)
    Turbonegro dans la même rubrique que Zorn ? T'as pas peur de nuire à la carrière de ce dernier ?!?!?

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  4. Ah bah zut, je le vois trop tard ce post, ça m'apprendra à faire l'ermite loin de toute technologie ;-) Faut que je commande in th hall of mirrors, j'le connais pas c'ui-là. Merci pour toutes ces magnifiques info !

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    1. Turbonegro, connaissais pas... très efficace pour hocher et sautiller joyeusement ! Merci pour la découverte !

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