vendredi 29 mai 2015

Îles désertes... (volume 1)

Vous connaissez tous le postulat de base de la sélection "île déserte" où l'impossible choix de certains albums plutôt que d'autres se pose, empiriquement, laissant quelques dilemmes et quelques impossibles choix. C'est le petit jeu auquel je me suis livré choisissant un album par style. Evidemment, ces choix sont personnels et donc aucunement supposés représenter quelque vérité universelle que ce soit, cependant, à mon très humble avis, vous trouverez ici une collection qui pourrait combler le Robinson Crusoé qui sommeille en chacun de nous... Enjoie !

Île Déserte: Pop
The Beatles "Abbey Road" (1969)
ou "Pop Heaven"

Si on devait décrire Abbey Road en un mot ? Immense !
Mais ce n'est pas assez, ce n'est pas rendre justice à l'immense album (le dernier enregistré par les Beatles même si Let It Be le suivra dans les magasins), la palpitante collection, le parfait ensemble que la magnifique équipe, parce qu'il ne faut oublier ni George Martin, plus qu'un producteur, assurément, ni Billy Preston venu glisser son Hammond sur deux titres, et pas des moindres !, le Something de George Harrison et le I Want You (She's So Heavy) de Lennon.
Musicalement, c'est comme un Double Blanc qui aurait trouvé une cohérence, aurait resserré sa tracklist à l'essentiel. Ho, bien sûr, on pourra démettre certaines compositions plus légères que la moyenne (le Maxwell's Silver Hammer de McCartney, l'Octopus Garden de Ringo, aussi compositeur et pianiste sur le coup !) mais, d'une, on a besoin de légèreté, de deux, c'est si bien troussé, si fun et frais qu'on ne peut décemment qu'y prendre un immense plaisir. Une autre supposée faiblesse dans la cuirasse ? Oh! Darling (McCartney encore) et ses flaveurs de rock 50s, mais lui aussi est bon, très bon. A part ça, Abbey Road est une Rolls ! Come Together dont on ne se lasse pas, Something qui fera le bonheur de Sinatra mais jamais autant que celui de George, I Want You (She's So Heavy)Lennon trippe et hard-rocke à la fois, Here Comes the Sun ou le triomphe ensoleillé de Cool Georgie, un compositeur trop souvent mésestimé. Et la suite !, cette fantastique suite fomentée par McCartney et Martin à la barre des précieux arrangements et savants enchainements... Un paradis pop, ni plus ni moins.
Qu'on ne s'étonne pas, aujourd'hui encore, du persistant succès des Beatles, de Rubber Soul à Sgt. Pepper, du White Album à ce divin Abbey Road, pour ne citer que les plus marquants, les plus historiques, il ont presque tout inventé, ou transcendé ce qu'ils avaient recyclé d'ailleurs (on a le droit de recycler, ça s'appelle avoir des influences). Ha ! Et la version remasterisée, juste l'album dans sa grâce originelle, est parfaite ! Abbey Road ? Si tu ne l'as pas, tu as raté ta vie !

1. Come Together 4:20
2. Something 3:03
3. Maxwell's Silver Hammer 3:27
4. Oh! Darling 3:26
5. Octopus's Garden 2:51
6. I Want You (She's So Heavy) 7:47
7. Here Comes the Sun 3:05
8. Because 2:45
9. You Never Give Me Your Money 4:02
10. Sun King 2:26
11. Mean Mr. Mustard 1:06
12. Polythene Pam 1:12
13. She Came in Through the Bathroom Window 1:57
14. Golden Slumbers 1:31
15. Carry That Weight 1:36
16. The End 2:05
17. Her Majesty 0:23

John Lennon – vocals; acoustic (six and twelve-string) and electric guitars; acoustic and electric pianos; Hammond organ and Moog synthesizer; white noise generator and sound effects; percussion
Paul McCartney – vocals; acoustic, electric and bass guitars; acoustic and electric pianos; Hammond organ and Moog synthesizer; sound effects; handclaps and percussion
George Harrison – vocals; acoustic, electric and bass guitars; Hammond organ, harmonium and Moog synthesizer; handclaps and percussion
Ringo Starr – drums, handclaps and percussion; background vocals; lead vocals and piano (on "Octopus's Garden")
&
George Martin – piano; electric harpsichord, electronic organ, harmonium and percussion
Billy Preston – Hammond organ (on "Something" and "I Want You (She's So Heavy)")
Mal Evans – "anvil" (on "Maxwell's Silver Hammer")

THE BEATLES

Île Déserte: Hard Rock
Led Zeppelin "Physical Graffiti" (1975)
ou "Divine Rocking Mess"

Il y a des albums pour lesquels on pense ne plus avoir à faire l'article, dont le retentissement universel semble un fait acquis, dont la conception et chaque détail de chaque chanson semblent être connus et reconnus. Et puis, on sonde son entourage, se rend compte que, là encore, l'arbre trop souvent cache la forêt et que, finalement, ce qui apparaissait comme un classique usé jusqu'à la corde recèle encore de mystères trop peu sondés par une vaste majorité.
Prenez Physical Graffiti, le cru 75 du plus gros groupe de rock des années soixante-dix, une formation passée à la postérité bien au-delà de la sphère d'influence habituelle du genre, mais si, Led Zeppelin, vous savez bien, Dazed and Confused, Rock and Roll, Black Dog, The Immigrant Song, Stairway to Heaven évidemment et, puisque c'est sur l'album qui nous intéresse, et que c'est lui l'arbre, Kashmir son riff inoxydable et ses flaveurs orientales si addictives.
Et donc, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Physical Graffiti, ce monument !, n'est pas à proprement parler un album classiquement conçu. Commencé à l'origine en novembre 1973, interrompu pour laisser la place à Bad Company (avec qui Led Zeppelin partage label et manager), ayant souffert des tensions internes et d'un John Paul Jones supposément sur le départ vers un poste plus respectable que celui de bassiste/claviériste d'une bande de chevelus (maître de chorale à la cathédrale de Winchester, pas moins !), il connut un accouchement long et douloureux mais, franchement le jeu en valait la chandelle et les quatre garçons dans l'ouragan firent bien de se remettre à l'ouvrage quelques mois plus tard pour créer ce qui demeure leur œuvre la plus longue et variée. Il faut dire que les 8 titres qui devaient peupler la chose étaient d'imposantes créations dépassant largement la durée maximale de ce qu'il était possible de caser sur la galette de cire noire. D'où la décision du double album et l'adjonction, encore merci les gars !, de chansons déjà enregistrées lors de précédentes sessions et remisées pour une raison ou une autre juste légèrement overdubbées pour la circonstance. Ca pourrait nous donner un album décousu, inégal, il n'en est rien. Que ce soit dans le hard rock qui a fait leur gloire (Custard Pie, The Rover, The Wanton Song, Sick Again, Houses of the Holy), dans un rock quasiment progressif (In the Light), du presque funk énergisant (Trampled Under Foot), de l'acoustique plein d'âme et de sentiment (Boogie with Stu, Black Country Woman), de la power ballad inattaquable (Ten Years Gone), du blues bien "jammesque" (In My Time of Dying), du country rock de compétition (Night Flight), du petit intermède instrumental (Bron-Yr-Aur) ou l'immense rock orchestral oriental (Kashmir !), le groupe ne manque jamais sa cible et offre, au contraire, un panorama vaste et impressionnant dont on ne se remet pas facilement, et sur lequel on revient souvent avec toujours une égale délectation devant tant de maîtrise, de talent et d'imagination. A vrai dire, que les morceaux ait été ou non conçus pour l'album importe peu, le tout, 15 titres et 82 minutes, s'écoute comme une promenade picaresque dans les méandres créatifs d'une formation en état de grâce.
40 ans plus tard, bien célébré par cette belle édition reproduisant enfin l'effet des fenêtres de la pochette originale; doté d'un Cd supplémentaire et d'un copieux livret pour profiter encore plus pleinement, encore plus longtemps de l'expérience, Physical Graffiti continue de s'imposer comme le magnum opus d'un Led Zeppelin au catalogue pourtant d'une immense cohérence qualitative. En bref et en un mot qui résume tout : énorme !

CD 1
1. Custard Pie 4:13
2. The Rover 5:37
3. In My Time of Dying 11:04
4. Houses of the Holy 4:02
5. Trampled Under Foot 5:37
6. Kashmir 8:32

CD 2
1. In the Light 8:46
2. Bron-Yr-Aur 2:06
3. Down by the Seaside 5:13
4. Ten Years Gone 6:32
5. Night Flight 3:36
6. The Wanton Song 4:10
7. Boogie with Stu 3:53
8. Black Country Woman 4:24
9. Sick Again 4:42

CD 3 - Bonus
1. Brandy & Coke (Trampled Under Foot) (Initial/Rough Mix) 5:39
2. Sick Again (Early Version) 2:22
3. In My Time of Dying (Initial/Rough Mix) 10:44
4. Houses of the Holy (Rough Mix with Overdubs) 3:51
5. Everybody Makes It Through (In the Light) (Early Version/In Transit) 6:29
6. Boogie with Stu (Sunset Sound Mix) 3:39
7. Driving Through Kashmir (Kashmir) (Rough Orchestra Mix) 8:41

John Bonham - drums, percussion
John Paul Jones - bass guitar, organ, acoustic and electric piano, mellotron, guitar, mandolin, VCS3 synthesiser, Hohner clavinet, Hammond organ, string arrangement
Jimmy Page - electric, acoustic, lap steel and slide guitar, mandolin, production
Robert Plant - lead vocals, harmonica, acoustic guitar on "Boogie with Stu"
&
Ian Stewart - piano on "Boogie with Stu"

LED ZEPPELIN

Île Déserte : Heavy Metal
Iron Maiden "Piece of Mind" (1983)
ou "Top Cuir et Clous"

Choisir un album un peu plus recommandable que les autres dans l'excellent catalogue de la première décennie d'Iron Maiden ? Mission impossible !
Quoiqu'à y regarder de plus près, on se dit que Piece of Mind, peut-être parce qu'il est le premier avec le line-up qui triomphera sur toutes les scènes du monde avec l'arrivée de Nico McBrain délogé de chez Trust, peut-être parce que même ses chansons "accessoires" (le Still Life de Dave  Murray, les amusants Quest for Fire et Sun and Steel, ce dernier un indéniable influence sur le speed metal mélodique d'entre autres Helloween) ont une tenue qui ne trompe pas : en 1983 Iron Maiden est en très grande forme.
D'ailleurs l'album commence très fort par le défouraillage (ou le bombardement vu le thème "deuxième-guerre-mondialier" développé par Harris) d'un Where Eagles Dare terrassant de puissance et de majesté et l'épique et progressif Revelations composé par Bruce Dickinson au texte égypto-mystique à explorer. Et puis il y a les deux singles, deux bombes du genre, probablement les meilleurs d'Iron Maiden dans le genre accrocheur mais intègre jusqu'au bout des clous, ce Flight of Icarus et ce Trooper dont on peut, nous qui avons usé la galette noire en nos adolescentes années, chanter jusqu'aux précis et mémorables soli de double guitare de Smith et Murray. Et ce n'est pas fini puisqu'on subit, victimes consentantes que nous sommes, un nouveau déboulé furieux avec l'entraînant Die with Your Boots On, que c'est bon ! Et, enfin, évidemment puisqu'il s'agit d'un album du plus progressif des groupes de la New Wave of British Heavy Metal, il y a le gros morceau épique de conclusion, un titre adapté de la saga de Frank Herbert qui, pour la petite histoire, refusa au groupe l'utilisation de l'appellation de Dune, forçant Harris à se rabattre sur le titre de To Tame a Land. Bref, la composition, sans toutefois reproduire l'exploit d'un Hallowed Be Thy Name, satisfit largement les amateurs du genre qui n'avait pas tort tant la réussite est au rendez-vous.
En conclusion ? Avec une sélection de titres où même les (relatives) faiblesses ont un immense charme, avec une production parfaite de l'ex-partenaire de Deep PurpleMartin Birch, Iron Maiden , encore et toujours mené de main ferme par un Steve Harris qui sait où il va, frappe un grand coup, non seulement en dépassant une galette qui avait fait date (The Number of the Beast) mais en progressant dans son esthétique d'un heavy metal racé, mélodique et puisant. Très fort Piece of Mind !

1. Where Eagles Dare 6:08
2. Revelations 6:51
3. Flight of Icarus 3:49
4. Die with Your Boots On 5:22
5. The Trooper 4:10
6. Still Life 4:27
7. Quest for Fire 3:40
8. Sun and Steel 3:25
9. To Tame a Land 7:26

Bruce Dickinson – lead vocals
Dave Murray – guitar
Adrian Smith – guitar
Steve Harris – bass guitar
Nicko McBrain – drums

IRON MAIDEN

Île Déserte: Progressive Rock
Genesis "Foxtrot" (1972)
ou "Prog Deluxe"

Le premier chef d'œuvre ? C'est démettre un peu facilement un Nursery Cryme déjà très réussi mais, indéniablement, il y a encore plus, encore mieux dans Foxtrot.
Peut-être parce qu'Hackett et Collins sont désormais bien installés dans Genesis, plus les petits nouveaux mais bel et bien des membres à part entière de ce qui reste le line-up de référence du groupe. Sans doute parce que l'écriture du quintet s'est encore affinée, encore démarquée d'une concurrence qui ne manque pourtant pas de panache avec ses King Crimson, Yes, et autres Van der Graaf Generator. Evidemment parce que ce groupe-là, aussi préoccupé par la mélodie que par la construction savante de pièces complexes, atteint ici la plénitude de sa verve créatrice.
S'il n'y avait que la première face, de Watcher of the Skies à Can-Utility and the Coastliners, soit trois monstres de compositions alliant finesse des mélodies et interaction magistrale entre cinq musiciens totalement en phase dans un monde qui n'appartient qu'à eux, on crierait déjà au génie parce que Genesis, qui a donc déjà épaté son monde sur l'excellent Nursery Cryme, fait encore mieux sauf, peut-être, sur un Time Table , jolie chanson aux mélodies accrocheuses, de belle qualité si moins viscéralement essentielle (c'est dire le voisinage !). Mais il y a, retournant la cire noire d'époque ou enchainant sur la cinquième piste de la galette argentée d'aujourd'hui, le degré encore supérieur de la création progressive. Et, non, pas Horizons, petite vignette acoustique absolument charmante de Mr. Hackett qui la joue d'ailleurs encore régulièrement aujourd'hui, juste après... C'est là qu'on trouve LA pièce, symphonie progressive en sept mouvements, celle-là même qui n'en finit pas de truster la tête des listes récapitulatives des morceaux fleuves d'anthologie, de l'inusable chef d'œuvre de cette première partie de la carrière du groupe dont il s'agit : Supper's Ready. Que dire qui n'ait déjà été écrit sur la divine entreprise et ses 23 minutes qui, pris dans le tourbillon créatif que nous sommes, passe aussi vite qu'une miniature ? S'esbaudir encore une fois sur la divine construction de la chose, sur les performances respectives de chaque instrumentiste, sur le texte un poil cryptique mais ultimement passionnant et l'interprétation parfaite d'un Peter Gabriel en état de grâce absolu ? Oui, tout ça ! Et encore, en se retenant et tentant de garder un poil d'esprit critique. Peine perdue. Supper's Ready est sans faille de son intro où, immédiatement, la voix vous prend pour ne plus jamais vous lâcher, à son final en apothéose en passant par toutes ses sections où, même, on retrouve un certain humour typiquement britannique. Terrassés sommes-nous par un tel tour de force par un groupe qui, rappelons-le, se compose de jeunes gens n'ayant pas même atteint le quart de siècle. A ce niveau là, on ne peut qu'applaudir et en redemander.
Il faut dire aussi que Genesis est bien aidé par son producteur, David Hitchcock, un spécialiste d'alors de la chose prog, connu aussi pour sa longue collaboration avec les canterburiens de Caravan, qui a parfaitement su mettre en son, donner la clarté et la précision nécessaires pour que l'œuvre soit idéalement mise en valeur, une sacrée progression par rapport au travail de John Anthony sur son estimé prédécesseur. Et encore plus, avouons, sur un remaster définitif améliorant encore la performance, diable !
Le progressisme de Genesis évoluera bientôt, ce qui évitera à la formation de tenter l'illusoire exploit de reproduire l'insensée réussite de Foxtrot et d'en produire de nouvelles (Selling England, The Lamb, Trick, Wind & Wuthering, rien que ça !). En l'état, on tient indéniablement le premier magnum opus d'une encore jeune carrière. Et de se pâmer devant le chemin parcouru depuis le gauche From Genesis to Revelation et sa pop adolescente et la grâce encore embryonnaire d'un Trespass sur la bonne voie. Foxtrot ? Monstrueux, tout simplement ! Et essentiel, cela va sans dire !

1. Watcher of the Skies 7:21
2. Time Table 4:47
3. Get 'Em Out by Friday 8:35
4. Can-Utility and the Coastliners 5:45
5. Horizons 1:39
6. Supper's Ready 22:57
a. Lover's Leap
b. The Guaranteed Eternal Sanctuary Man
c. Ikhnaton and Itsacon and Their Bandof Merry Men
d. How Dare I Be So Beautiful?
e. Willow Farm
f. Apocalypse in 9/8 (Co-Starring the Delicious Talents of Gabble Ratchet)
g. As Sure As Eggs Is Eggs (Aching Men's Feet)

Tony Banks - organ, acoustic and electric pianos, mellotron, twelve-string guitar, backing vocals
Phil Collins - drums, percussion, backing vocals
Peter Gabriel - lead vocals, flute, tambourine, oboe, percussion
Steve Hackett - electric guitar, twelve-string guitar
Mike Rutherford - bass guitar, bass pedals, cello, twelve-string guitar, backing vocalss

GENESIS

Île Déserte: Electronic
Underworld "Dubnobasswithmyheadman" (1994)
ou "Electronic Fantastic"

De la musique électronique, de la techno disait-on alors, oui mais, pas seulement. Parce que leurs racines vont plus loin que la Rave Generation, Underworld ont d'autres ambitions, d'autres conceptions dans leur version mélodique et trippante de l'intelligent techno.
Underworld a déjà sorti deux albums avant Dubnobasswithmyheadman, deux galettes d'électro-rock funky qui n'ont pas franchement marqué les mémoires. L'hydre officiant présentement, un trio composé de Karl Hyde et Rick Smith, seuls survivants de la précédente incarnation, et de Darren Emerson venu amener son expertise du mix, des samples, lui qui officie "dans la scène" (hip hop et electro) depuis ses 14 ans.
Le résultat est une transformation totale, un nouveau groupe carrément ! Une approche supra-mélodique de la musique électronique aussi, avec de vraies chansons parfois un peu déconstruites (Mmm Skyscraper I Love You, Dirty Epic), mais de vraies chansons, et de sacrées mélodies (mais écoutez-moi cet emballage final, River of Bass et le jazzy/funky M.E. en apothéose harmonique !) ! Parce qu'il y a la voix de Hyde, moins la guitare quoiqu'elle apparaisse épisodiquement (M.E. à la Benson), son écriture héritée du punk et de la new wave (y a du Clash et du Depeche Mode planqué là-dedans !) qui fait d'Underworld autre chose, un peu plus, même s'il en est aussi, qu'une des merveilles électroniques venant alors de la prude Albion (de The Orb à Orbital en passant par Prodigy, Fluke ou Leftfield... ça se bouscule au portillon), un album à danser qui peut aussi s'écouter en salon, un album de salon sur lequel on peut aussi danser.
Underworld, avec ou sans Emerson qui finira par quitter le navire, sortira d'autres très beaux albums (je recommande Second Toughest in the Infants et Beaucoup Fish), jamais plus ils ne parviendront à réaliser une aussi parfaite fusion d'électro-pop et de musique électronique, une fusion alors aussi trippante que passionnante à écouter dans le détail et, donc, un album très très chaudement recommandé, que vous soyez fan de techno ou pas.

1. Dark & Long 7:35
2. Mmm…Skyscraper I Love You 13:08
3. Surfboy 7:33
4. Spoonman 7:41
5. Tongue 4:50
6. Dirty Epic 9:55
7. Cowgirl 8:29
8. River of Bass 6:26
9. M.E. 7:08

Darren Emerson - keyboards and mixing
Karl Hyde - vocals, guitars
Rick Smith - keyboards and mixing, vocals

UNDERWORLD

Île Déserte: Chanson
Jacques Brel "Ces Gens-Là" (1966)
ou "Chanson Suprême"

"Ha ben oui. Brel, quoi. Enorme, légendaire. Et cet album de 1966 - wow! - quel pied!" C'est en ces termes un poil "rustres" que j'aurais pu évoquer l'incroyable accomplissement qu'est Ces Gens-Là.
Petite précision, en ces années soixante où le marketing industriel n'a pas encore fait les ravages qu'on connait sur l'industrie discographique, les albums de Brel ne sont pas titrés. Le premier à l'être fut 67, l'album de 1967 justement. Usuellement, on leur donne le titre de leur première chanson... Et quelle première chanson, mes aïeux ! Rien de moins que Brel au sommet de sa théâtralité (ce qui n'est pas peu dire). Car, enfin, on ne le dira jamais assez, en plus d'être un vocaliste hors pair et un auteur/compositeur de génie, Brel était aussi - composante essentielle de son approche de la chanson - l'immense acteur incarnant la verve incomparable de sa plume. Et quand le texte a la force de Ces Gens-Là et que les arrangements dramatiques de cordes en soulignent aussi bien l'ambiance, on obtient simplement un monument absolu de l'Histoire de la Musique, rien de moins.
Comme, en plus, ce qui suit (Jef et La Chanson de Jacky) est du même tonneau de divin nectar auditif et d'intelligence textuelle, on ne peut que s'esbaudir devant tant de talent... Que dis-je ? De génie ! Forcément, avec une pareille triplette d'ouverture, on se dit que le niveau va faiblir et que l'anecdotique ne devrait plus tarder à pointer le bout de son vilain nez et... On se trompe allègrement.
Les Bergers, Le Tango Funèbre, Fernand, Mathilde (et je vais m'arrêter là dans l'énumération de la tracklist) sont toutes de grandes chansons. On y retrouve Brel tour à tour poignant, malicieux, faussement niais, désespéré et même drôle... Car il avait de l'humour en plus, le bougre !
Bref, étant entendu que la perfection n'est pas de ce monde et que Ces Gens-Là ne peut donc nullement prétendre l'atteindre, il est à noter qu'il fait tout de même fait partie de caste des rares œuvres qui tutoient de si près le divin qu'on peine à trouver quelque faille que ce soit.
Brel sortira d'autres albums de grande qualité, il en avait d'ailleurs déjà quelques-uns à son actif, mais plus jamais au niveau où on le trouve ici : un Géant parmi les nains.
 
1. Ces gens-là  4:38
2. Jef  3:35
3. La Chanson de Jacky 3:23
4. Les Bergers  2:44
5. Le Tango funèbre 2:42
6. Fernand 5:14
7. Mathilde 2:34
8. L'Âge idiot 3:42
9. Grand-mère 3:39
10. Les Désespérés 3:47
Bonus
11. Mijn vlakke land (Le Plat Pays) 2:52
12. Rosa (en flamand) 2:47
13. De burgerij (Les Bourgeois) 3:00
14. De nuttelozen van de nacht (Les Paumés du petit matin) 4:14

avec
Jacques Brel - chant
Jean Corti - accordéon
Gérard Jouannest - piano
(le reste s'est perdu dans les limbes)

JACQUES BREL

Île Déserte: Folk
Elliott Smith "Either/Or" (1997)
ou "Intimate Grace"

On a beaucoup écrit sur le malheureusement disparu Elliott Smith, beaucoup parlé de sa suspecte disparition mais, aussi, bien sûr, de son art consommé de pondre de merveilleuses chansons folk penchant parfois vers la pop la plus nuancée, de fascinantes petites choses précieuses qu'on collecte comme autant de petits trésors d'une rare beauté. C'est dire si Either/Or, de l'avis général son album solitaire le plus réussi, vaut le détour.
Comme d'habitude (encore un peu plus que d'habitude en fait puisqu'aucun invité n'est à signaler), puisque c'est son troisième album sous son nom après quelques années et quatre albums chez les indie rockers d'Heatmiser (de qui on conseille encore et toujours l'excellent Mic City Sons),  Elliott joue tout ici, contrôle de A à Z une production sensible et pointilliste où sa voix fragile et sa guitare nue de tout effet inutile tisse une impeccable toile de beauté douce-amère.
Toujours indépendant pour le moment, il signera chez Dreamworks dès son opus suivant, le presque aussi recommandé XO, et donc libre comme l'air de se laisser aller à toutes ses envies, Smith ne fait pas autre chose que de composer de bêtes chansons acoustiques où seules comptent l'émotion et la mélodie. Ses influences, à peine voilées, de l'évidence Nick Drake au trop souvent oublié Harry Nilsson en passant par Paul Simon et même les Kinks, n'y sont absolument pas encombrantes permettant, au contraire, à l'auteur de fourbir un arsenal lettré absolument jouissif. Tout comme son passé d'indie rocker, sa volonté absolue de ne jamais en rajouter, lui permet de ne jamais tomber dans le piège d'un easy-listening folk/pop alourdissant mais aussi de savoir, quand il le faut, électrifier le propos comme sur un Cupid's Trick d'anthologie. De fait, sans énuméré l'entièreté de la magistrale sélection ici réunie, un Alameda, un Ballad of Big Nothing, un Between the Bars, un Punch and Judy, un Angeles s'imposent dès la première écoute comme de brillantes vignettes mélodiques évidemment destinées à durablement se graver dans l'occiput consentant du béat auditeur. Plus fort encore, une constatation que seul le recul des ans passés permet, Either/Or a tout de même 18 ans !, l'usure n'atteint nullement l'impeccable galette qui, du coup, ne souffre que d'un petit, minuscule, microscopique défaut : ne durer que 37 trop courtes minutes.
Elliott, disparu à seulement 34 ans dans d'étranges circonstances qui ne seront pas discutées ici, dont on conseille tous les albums avec une évident priorité pour le présent, manque aujourd'hui toujours cruellement à un monde de la musique qui ne tombe pas souvent sur une si belle plume, sur un si admirable artiste capable avec trois fois rien d'emporter jusqu'au plus insensible des black-metalleux dans son petit monde à lui, un monde où vous êtes tous les bienvenus et dont, croyez-moi, vous n'êtes pas prêts de revenir.

1. Speed Trials 3:01
2. Alameda 3:43
3. Ballad of Big Nothing 2:48
4. Between the Bars 2:21
5. Pictures of Me 3:46
6. No Name No. 5 3:43
7. Rose Parade 3:28
8. Punch and Judy 2:25
9. Angeles 2:56
10. Cupid's Trick 3:04
11. 2:45 AM 3:18
12. Say Yes 2:19

Elliott Smith – all instruments

ELLIOTT SMITH

Île Déserte: Classic Jazz
John Coltrane "Giant Steps" (1959)
ou "Sax de Sept Lieues"

Il y a quelques très utiles portes d'entrée pour découvrir John Coltrane. Il y a Ballads, facile et harmonieux, A Love Supreme, épique et transcendantal, Blue Train, où le bop devient déjà hard et, bien sûr, Giant Steps, première galette de Trane pour Atlantic, révolution jazzistique à lui seul, et une merveille d'album !
Dans les faits, à peine sortie des sessions du légendaire Kind of Blue de Miles Davis, Coltrane se lance, avec un trio fort différent de celui qui l'accompagnera bientôt et entrera de plein droit dans la légende, sa légende, dans l'élaboration d'un opus qui fera non seulement date par les compositions l'articulant que par le jeu d'un Trane révolutionnant présentement l'approche de son instrument.
Pour s'en convaincre, en n'oubliant évidemment pas de le contextualiser dans son époque, il suffit d'écouter le morceau titre d'ouverture de l'album où ce diable de John, un peu à la manière de ces instrumentistes folk celtiques qui "tournent" autour de la mélodie en de riches et développés soli, fait couler un impressionnant torrent de notes de son cuivre. On pourrait se dire, bien sûr, que l'exploit est avant tout technique, ce qu'il est, indéniablement, sauf que Trane habite sa création entrainant aisément l'auditeur, qui après quelques écoutes se surprendra peut-être à chanter ses exploits à l'unisson, dans un monde à priori un peu alien mais définitivement attirant. De fait, il n'y aurait que ce Giant Steps historique suivi d'un  "récital" de Kenny G (le André Rieu du sax soprano) qu'on ne se sentirait qu'à peine floué, mais il y a plus, bien plus, dans le 5ème opus de John Coltrane, le premier dont il soit l'unique compositeur.
Parce qu'en plus d'être le furieux instrumentiste que l'on sait, le sax ténor est aussi un vrai bon compositeur sachant ménager quelques salvatrices respirations au sein de sa galette, des titres qui ne reposent plus sur sa vitesse d'exécution mais bien sur son talent de mélodiste. Naima, devenu un standard du jazz depuis, sensible ballade en hommage à son épouse d'alors, en est l'admirable démonstration mais pas le seul exemple talonné qu'il est par un Syeeda's Song Flute certes plus emporté mais pas moins inspiré et mélodique. Vous l'aurez compris, le reste de l'album, pas abscond pour autant, Trane hard-boppe encore, le free viendra plus tard, dédié à de swinguantes constructions où son saxophone supersonique est l'attraction principale comme, exemple extrême et unique de l'opus sur un bref et intense Countdown qu'on finit essoufflé alors que c'est John qui enchaine les notes en un galop frénétique.
Bref, pierre fondatrice d'une seconde partie de carrière, post héroïnomanie, hélas raccourcie par la maladie, Giant Steps est non seulement une œuvre indispensable, c'est aussi, de l'avis de votre humble serviteur, la plus apte introduction à cette authentique légende de la musique du XXème siècle qu'est John Coltrane.

1. Giant Steps 4:43
2. Cousin Mary 5:45
3. Countdown 2:21
4. Spiral 5:56
5. Syeeda's Song Flute 7:00
6. Naima 4:21
7. Mr. P.C. 6:57
Bonus
8. Giant Steps (alternate version 1) 3:41
9. Naima (alternate version 1) 4:27
10. Cousin Mary (alternate take) 5:54
11. Countdown (alternate take) 4:33
12. Syeeda's Song Flute (alternate take) 7:02
13. Giant Steps (alternate version 2) 3:32
14. Naima (alternate version 2) 3:37
15. Giant Steps (alternate take) 5:00

John Coltrane — tenor saxophone
Tommy Flanagan — piano
Paul Chambers — bass
Art Taylor — drums
&
Wynton Kelly — piano on "Naima"
Jimmy Cobb — drums on "Naima"
Cedar Walton — piano on "Giant Steps" and " Naima" alternate versions
Lex Humphries — drums on "Giant Steps"' and "Naima" alternate versions

JOHN COLTRANE

Île Déserte: Modern Jazz
John Zorn/Acoustic Masada "Gimel" (1994)
ou "The Thrill of Free Klezmer"

Mon premier Zorn ! Autant le dire tout de suite, je suis excellemment bien tombé avec ce Gimel de ce qu'il est désormais convenu d'appeler Acoustic Masada, depuis que la galaxie des formations orbitant autour de la redécouverte des racines juives mêlées à la folie free d'un Ornette Coleman du stakhanoviste de la Downtown Scene s'est largement accrue.
Si vous vous intéressez, de près ou de loin, à la carrière de Master Zorn, vous connaissez sans doute l'importance de ce quartet où, de mélodies originales rappelant la musique populaire ashkénaze, pendant séculaire mais pas pour autant dénué de mysticisme des cantiques pratiqués dans les synagogues, dont on retrouve les traces jusqu'au XVème siècle, il crée une fusion jusqu'alors rarement entendue (ne jamais prétendre à la complète originalité, il y a toujours, quelque part, quelqu'un qui a déjà eu la même idée) où free jazz et racines s'accouples pour le meilleur.
Bref, après la découverte de son nom dans les crédits du premier album du Mr Bungle de Mike Patton, dont il est le producteur et sur lequel, bien que non crédité, il balance quelques folies saxophoniques dont il a le secret, en 1994 donc, votre serviteur tombe sur ce divin objet (cher !, un import japonais à la Fnac...) et décide que, vraiment !, il lui faut entendre ce que ce monsieur encore méconnu est capable de faire dans ses œuvres. Evidemment, le jeune-homme qui glisse la galette argentée dans le tiroir prévu à cet effet ne connaît pas, encore, la richesse et la diversité de palette de cet inconnu qui ne le restera plus très longtemps. Plus très longtemps ? Parce que ce cocktail, cet assemblage de jazz à la pointe et de musique traditionnelle d'Europe de l'est est tout simplement grandiose, parce que ce quartet sait allier mélodie et sorties de routes contrôlées comme peu en sont capables, parce que, enfin, on retrouve sur Gimel, de l'entrainant Ziphim d'ouverture, du merveilleusement harmonieux Abidan, en passant par le tempéré Karaim ou le filmique Sheloshim, des thèmes d'une vraie grande beauté juste perturbés par quelques furieuses saillies (Katzatz, Hekhal) idéales pour relancer la machine de leur allant peu commun.
Gimel, troisième des 10 sorties de l'Acoustic Masada, un des plus beaux chapitres de la saga, fusion extrêmement réussi qui fera donc florès, demeure un album extrêmement recommandé aux amateurs de jazz "qui cherche", et trouve un sacré trésor, présentement.

1. Ziphim 9:17
2. Abidan 6:48
3. Katzatz 2:24
4. Hazor 6:04
5. Netivot 3:38
6. Karaim 5:58
7. Hekhal 3:02
8. Sheloshim 8:15
9. Lebaoth 5:12
10. Tannaim 8:54

John Zorn - alto saxophone
Dave Douglas - trumpet
Greg Cohen - bass
Joey Baron - drums

ACOUSTIC MASADA

Île Déserte: Musique Classique
Johann Sebastian Bach "Suites for Solo Cello" (1992)
ou "Cello Bello"

J'ai essayé Rostropovitch, Yo-Yo Ma, Truls Mørk (et quelques autres), aucune des versions qui me sont venues à l'oreille des suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach n'égale celle du néerlandais Anner Bylsma et de son Stradivarius Servais (en prêt du Smithsonian).
Enregistré en 3 jours de janvier 1992 à l'Académie des Arts et des Lettres de New York City, la version ici proposée se démarque dans les détails (la prise de son, le son de l'instrument même, la délicatesse du virtuose, une certaine radicalité romantique aussi, Bylsma est fidèle mais reste libre dans son approche) de celles d'instrumentistes évidemment au-dessus de tout reproche (voir la liste plus haut et y ajouter vos violoncellistes favoris). Par exemple, j'aime beaucoup Mørk et ses Suites ont la tenue qu'on attend d'une pointure telle que lui, hélas, techniquement parfaite, son interprétation manque d'émotion, de culot et garde un petit côté clinique qui empêche de totalement s'y abandonner, de goûter pleinement à l'intense bouffée méditative (rêveuse, presque) que pareilles merveilles se doivent d'inspirer. Ici, avec une captation simplement époustouflante, une interprétation alliant la passion à la nuance (car il en faut !), toute la beauté intime de ces six suites en apesanteur est rendue à la perfection.
Les suites pour violoncelle seul de Bach ? Tout le monde connaît, voyons (quoique, passé l'ultra usité prélude de la première suite, j'ai quelques doutes...)! Alors seule la crème, le haut du haut du panier, se doit d'être dégusté et, à ma connaissance, nulle autre performance n'égale celle d'Anner Bylsma qu'on se doit donc de platement, respectueusement remercier.

CD 1
Suite no. 1 in g major, bwv 1007
1. I. prélude 2:49
2. II. allemande 4:47
3. III. courante 2:42
4. IV. sarabande 2:27
5. V. menuet I/II 3:40
6. VI. gigue 1:34
Suite no. 2 in d minor, bwv 1008
7. I. prélude 3:30
8. II. allemande 4:42
9. III. courante 1:57
10. IV. sarabande 3:34
11. V. menuett I/II 3:21
12. VI. gigue 2:32
Suite no. 3 in c major, bwv 1009
13. I. prélude 2:43
14. II. allemande 4:08
15. III. courante 2:28
16. IV. sarabande 2:56
17. V. bourrée I/II 2:28
18. VI. gigue 2:51

CD 2
Suite no. 4 in e-flat major, bwv 1010
1. I. prélude 4:01
2. II. allemande 4:25
3. III. courante 3:18
4. IV. sarabande 3:13
5. V. bourrée I/II 4:02
6. VI. gigue 2:46
Suite no. 5 in c minor, bwv 1011
7. I. prélude 5:06
8. II. allemande 5:24
9. III. courante 1:49
10. IV. sarabande 3:13
11. V. gavotte I/II 4:13
12. VI. gigue 1:56
Suite no. 6 in d major, bwv 1012
13. I. prélude 4:29
14. II. allemande 8:27
15. III. courante 3:38
16. IV. sarabande 4:19
17. V. gavotte I/II 3:46
18. VI. gigue 3:46

Anner Bylsma - violoncelle
Enregistré à l'institut des Arts et des Lettres de New York City
du 29 au 31 janvier 1992
avec le violoncelle Stradivarius "Servais" (Suites 1 à 5)
et le violoncelle piccolo à 5 cordes (fabriqué au Tyrol vers 1700)
(suite 6)

ANNER BYLSMA

mardi 26 mai 2015

70s Progressive Rock (10 ans, 10 albums, LISTE A)

Il ne faut pas avoir froid aux oreilles pour s'attaquer à un bilan décennal du rock progressif dans sa période de gloire. C'est exactement ce que j'ai décidé de faire dans une série de billets où chaque artiste n'aura droit qu'à un unique album, une contrainte de plus qui te permettra à toi, public !, de découvrir la diversité d'un genre trop souvent caricaturé à l'excès. Enjoie !

1970
Soft Machine "Third"
ou "Premium Molle"

Jazz ou prog ? Prog et jazz ! Third, troisième album de Soft Machine est une révolution en soi, un album où, sans guitare, un quatuor d'instrumentistes experts trace une nouvelle voie et s'impose, mine de rien, comme une valeur sûre d'une avant-garde progressive de plus en plus décisive.
De fait il n'y a plus que le Moon in June de Robert Wyatt qui contienne encore du chant, et même celui-là s''est largement éloigné des préoccupations débutantes de la formation, quand Kevin Ayers en était encore et que le psychédélisme dada dominait. Soft Machine est désormais un groupe de jazz progressif, un impossible trait d'union à l'avant-garde d'un genre comme de l'autre. Double album de quatre titres dans son édition originale, un titre par face, aucun sous les 18 minutes !, où seul Elton Dean ne compose pas (Facelift pour Hopper, Slightly All the Time et Out-Bloody-Rageous pour Ratledge), Third rapproche le jazz de John Coltrane du rock progressif de King Crimson (particulièrement sur Facelift), résumerait-on. Parce qu'au trip instrumental complet de la période free de Trane s'ajoute les manipulations de studio, la modernité des synthétiseurs, et, plus généralement, l'esprit mélodique et innovateur forcément différent de quatre anglais de la middle-class comparé à un black de Caroline du Nord.
Cette fusion, pas au sens électrique et funky qu'un certain Miles Davis est alors en train d'imposer, outre le fait qu'elle transcende les genres, propose une nouvelle conception musicale jusqu'alors jamais entendue, une conception qui fera florès même si personne, que ce soit en rock progressif ou en jazz, même parmi les divers et excellents travaux des divers membres en dehors de la machine, et même par le groupe lui-même qui ne reproduira plus jamais tout à fait l'exploit (et encore moins après le malheureux accident, et donc le départ forcé, de Robert Wyatt). Touché par la grâce de son batteur/compositeur/multi-instrumentiste, Moon in June en demeure l'himalayen sommet mais, vraiment, tout vaut qu'on y plonge, qu'on y replonge jusqu'à avoir décodé, compris, enregistré chaque note, voulue ou improvisée (le Facelift d'Hopper sent fort la dernière tendance).
Comme en plus la présente version propose un excellent live, sorti des coffres forts de la bonne maison BBC, pour un évènement où Soft Machine, ouvrant présentement pour le BBC Symphony Orchestra, fut la première formation non classique à jamais se produire (c'est dire l'impact de Third sur les mélomanes), il va s'en dire qu'on recommande chaudement cet album, c'est le mot, historique... Et indispensable !

CD 1 - Album
1. Facelift 18:45
2. Slightly All the Time 18:12
3. Moon in June 19:08
4. Out-Bloody-Rageous 19:10

CD 2 - Bonus
Live at the Proms (Royal Albert Hall, 13/08/70)
1. Out-Bloody-Rageous 11:54
2. Facelift 11:22
3. Esther's Nose Job 15:39

Mike Ratledge – Hohner Pianet, Lowrey organ, piano (all but 3)
Hugh Hopper – bass guitar (all but 3)
Robert Wyatt – drums, vocals (3), Hammond Organ (3), Hohner Pianet (3), piano (3), bass (3)
Elton Dean – alto saxophone, saxello (all but 3)
&
Lyn Dobson
– soprano saxophone, flute (1)
Jimmy Hastings – flute, bass clarinet (2,4)
Rab Spall – violin (3)
Nick Evans – trombone (2,4)

SOFT MACHINE (1970)

1971
Yes "Fragile"
ou "Yes They Can!"

C'est le Yes du progressisme triomphant, celui d'avant les errances mégalomaniaques d'océans peut-être topographiques mais assurément ampoulés, alourdis de trop de frasques instrumentales pour ne pas un peu ennuyer, celui de Fragile, peut-être le tout meilleur album de Yes, dès 1971.
Concrètement, 4ème album des anglais, premier avec le claviériste Rick Wakeman, c'est tout sauf un détail, Fragile marque le moment où Yes trouve vraiment son style, où, avec le complément d'un nouvel instrumentiste capable de répondre aux ambitions symphoniques de ses petits camarades de jeu, les londoniens réussissent leur plus beau coup qui sera, ce qui n'était que mérité, leur explosion critique et commerciale. Parce qu'avec un virtuose de plus dans ses rangs, un maître du Moog (là où Tony Kaye, son prédécesseur, se refusait au synthétiseur "in"), Anderson, Howe, Squire et Bruford on trouvé la cinquième colonne capable de supporter leur grandiloquent édifice. Howe y trouve un partenaire avec qui il peut dialoguer lors de précieux soli, Anderson un support idéal pour ses vocalises androgynes et emphatiques, Squire et Bruford un véhicule vrombissant pour complémenter leurs excès rythmiques, bref, l'équipe idéale.
Et les chansons qui vont avec, en plus, parce que de Roundabout, un titre qui vient encore hanter les setlist du groupe aujourd'hui, au majestueux Heart of Sunrise, la collection épate. Parce qu'il y faut évidemment plus que ces deux mastodontes pour faire de Fragile la référence qu'il est devenu, on trouve d'autres vrais délices dans la galette dont quelque jolies miniatures (le précieux détournement instrumental du Johannes de Cans and Brahms, le chœur hippie We Have Heaven, l'intermède fusion Five Per Cent for Nothing, un orientalisant The Fish créé par Chris Squire, le Mood for a Day d'Howe à la guitare classique), une petite chanson presque pop qui fait son effet (Long Distance Runaround) et bien sûr un South Side of the Sky pour nous faire décoller vers les étoiles. Un sans faute ! Auquel, remaster oblige, se rajoute un vrai beau bonus avec la belle reprise de l'America de Simon & Garfunkel que le groupe avait en tête depuis longtemps (avant même de se renommer Yes, en fait) qui, imaginative et maîtrisée, rallonge agréablement le festin.
Parfait jusque dans sa production (signée du groupe et d'Eddy Offord, qui travailla aussi avec ELP, Rory Gallagher ou la Baker Gurvitz Army), Fragile est un indéniable pilier du rock progressif des années 70, un album où l'évident virtuosité n'est pas encore onanisme, un must tout simplement !

1. Roundabout 8:30
2. Cans and Brahms 1:38
3. We Have Heaven 1:40
4. South Side of the Sky 8:02
5. Five Per Cent for Nothing 0:35
6. Long Distance Runaround 3:30
7. The Fish (Schindleria Praematurus) 2:39
8. Mood for a Day 3:00
9. Heart of the Sunrise 11:27
Bonus
10. America 10:33
11. Roundabout (Early Rough Mix) 8:35

Jon Anderson – lead and backing vocals
Steve Howe – electric and acoustic guitars, backing vocals
Chris Squire – bass guitars, backing vocals, electric guitar
Rick Wakeman – Hammond organ, grand piano, RMI 368 Electra-Piano and Harpsichord, Mellotron, Minimoog
Bill Bruford – drums, percussion

YES (1971)

1972
Jethro Tull "Thick as a Brick"
ou "Ho ! La belle brique !"

Le concept album rock progressif à la mode Jethro Tull ? Vous pensez que c'est différent des Yes, Genesis, Pink Floyd et autres Camel parce qu'avec Gentleman Farmer Ian Anderson à la barre, un monsieur qui a ses convictions et son sens de l'humour bien à lui, les affectations progo-symphoniques prennent de tout autres atours.
Qu'on se rassure tout de même, malgré l'orchestre, malgré la longueur de chaque suite, malgré la teneur conceptuelle de la bête, on reconnaît bel et bien Jethro Tull ne serait-ce que par les voix et flûtes d'un omniprésent Ian Anderson ou les guitares souvent incandescentes, toujours décisives d'un irremplaçable Martin Barre au sommet de sa forme. Il reste, évidemment, de la folk, de la gouaille et de la bonne humeur dans ce Thick as a Brick d'anthologie. Oui, d'anthologie !, parce quelle fête, mes aïeux, quelle tour de force que de passer d'un chef d'œuvre mêlant folk, hard rock et progressisme mesuré, Aqualung dont on ne conseillera jamais assez l'édition du 40ème anniversaire, à cet ambitieux projet et de le réussir si bien.
Bref, sur fond de dénonciation satyrique de l'hypocrisie de la société britannique du début des années 70, parce qu'on peut être ambitieux tout en gardant de l'humour et un regard lucide, Anderson & Cie ont confectionné un ensemble où douceur acoustique, hard rock et folk rock dans une forme progressive (et donc pas stricto sensu du rock progressif) se marient à merveille. En plus de la performance des deux leaders naturels (Barre et Anderson, donc) on notera la fantastique performance d'un John Evan constituant le trait d'union idéal entre les inspirations "rootsy" du Tull et ses présentes prétentions symphoniques, clairement, sans lui, sans son Hammond particulièrement, rien n'aurait été tout à fait pareil. Tous les éléments en place, parce qu'on n'oublie évidemment pas une section rythmique au diapason de ses collègues, il ne reste plus qu'à apprécier l'exploit d'une formation qu'on n'attendait certainement pas là et qui s'en sort, c'est le moins que l'on puisse dire, avec plus que les honneurs, avec un complet triomphe.
Mais puisqu'il est impossible de rendre tout à fait justice à une œuvre qui se "comprend" plus en l'écoutant que par quelque description, pour précise et maniaque qu'elle soit, il ne reste qu'à conseiller cet historique Thick of a Brick, forcément un des haut-faits de Jethro Tull (d'autant plus qu'il est présentement bien bonussé par un version live raccourcie et une intéressante interview d'Anderson, Barre et Hammond), indéniablement un des tous meilleurs concept-albums jamais réalisé.

1. Thick as a Brick, Part I 22:40
2. Thick as a Brick, Part II 21:06
Bonus
3. Thick as a Brick (1978 live version at Madison Square Garden) 10:50
4. Interview with Jethro Tull (Ian Anderson, Martin Barre and Jeffrey Hammond) 16:30

Ian Anderson – lead vocals, acoustic guitar, flute, violin, trumpet, saxophone
Martin Barre – electric guitar, lute
John Evan – organ, piano, harpsichord
Jeffrey Hammond – bass guitar, spoken words
Barriemore Barlow – drums, percussion, timpani
&
David Palmer
– Orchestral arrangements

JETHRO TULL (1972)

1973
Genesis "Selling England by the Pound"
ou "Symphonic Magic"

Relever le gant d'un Foxtrot triomphant et de son Himalaya compositionnel, Supper's Ready, tenait de la gageure. Pas pour ces cinq lascars qui, décidément, boxent dans une toute autre catégorie que tous leurs petits copains progressifs d'alors.
Au début, on se dit que rien n'a vraiment changé. La voix de Gabriel nous accueille, familière, le groupe le rejoint, la mélodie est belle, le texte fait sens, c'est de classique et efficace dont il s'agit. Mais Genesis n'est pas de ceux qui restent figés, se reposent sur leurs lauriers. Et donc tout vole en éclat. C'est toujours Genesis mais un élément est venu s'ajouter à la mixture, désormais Genesis fusionne aussi, pousse encore un peu plus sa musique dans des retranchements inattendus. Parce que Genesis progresse, encore ! Dancing with the Moonlit Knight décolle et nous avec. La batterie de Collins, la guitare d'Hackett, la basse de Rutherford n'ont jamais aussi bien été mises en valeur par une composition toujours aussi mélodique, aussi épique que ses plus belles devancières et, pourtant, instrumentalement encore plus osée avec un ambianceur en chef, Banks évidemment, en trait d'union essentiel. Quel accueil !
Un "petit" single pour suivre, l'efficace I Know What I Like, premier tube du groupe dans son Angleterre natale. Une mélodie accrocheuse, un refrain entêtant, un esthétisme pop qui ne minore aucunement le progressisme du combo... Et c'est une des moins bonnes chansons de l'album, diantre ! Parce qu'il y a ensuite Firth of Fifth avec son intro de piano où on se dit que Bach n'est pas si loin, avec une mélodie de chant imparable avec, surtout !, une longue section solo centrale à couper le souffle où Steve nous offre ce qui reste, plus de quarante ans après, son plus beau solo : mélodique, technique, stratosphérique. Si énorme qu'on a bien besoin de reprendre ses esprits ce que, justement, propose la petite chanson acoustique chantée par Phil, More Fool Me, une réussite encore. Fin de la face A, on en reste pantois.
The Battle of Epping Forest en fait trop ? Probablement. Mais il le fait bien avec un Gabriel plus théâtral que jamais. Alors oui, c'est bavard, chargé jusqu'à la garde des mots du chanteur mais les mélodies sont là. Du bavardage comme ça, on en redemande ! Pas de suite..., il faut se reconcentrer, prendre une pause avec un instrumental tout en harmonie où Hackett, qui en est l'artisan principal, excelle aussi bien à l'acoustique qu'à l'électrique. Mineur After the Ordeal ? Pas si. Et puis The Cinema Show, quatrième baobab de l'opus, une symphonie de prog, un prog en symphonie, parfait tout simplement, n'en disons pas plus, la musique parle d'elle-même. Une petite reprise du Moonlit Knight en conclusion, pour dûment refermer la grande maison, c'est Aisle of Plenty qui le fait et le fait bien. Et c'est déjà fini, snif. Et dire qu'ils ont mis Twilight Alehouse, petit chef d'œuvre planqué en face B d'I Know What I Like, de côté, fallait oser !
La mise en son de John Burns, qui a déjà mixé le très réussi Genesis Live et produira The Lamb Lies Down On Broadway dans la foulée, était déjà très réussie, le remaster définitif enfonce encore le clou. Tout y est plus clair, tous les détails d'un album qui n'en manque pas explosent de tous leurs feux, y sont encore mieux révélés. Splendide.
Selling England by the Pound, un classique inusable. Essentiel, c'est le mot.

1. Dancing with the Moonlit Knight 8:02
2. I Know What I Like (In Your Wardrobe) 4:03
3. Firth of Fifth 9:36
4. More Fool Me 3:10
5. The Battle of Epping Forest 11:43
6. After the Ordeal 4:07
7. The Cinema Show 11:10
8. Aisle of Plenty 1:30

Phil Collins – drums, percussion, vocal
Michael Rutherford – 12-string, bass, electric sitar
Steve Hackett – electric guitar, nylon guitar
Tony Banks – keyboards, 12-string
Peter Gabriel – vocals, flute, oboe, percussion

GENESIS (1973)

1974
King Crimson "Red"
ou "Beauté et Violence"

Des joyaux précieusement incrustés dans la couronne du Roi Cramoisi, Red est un des plus étincelants. Une pierre ô combien précieuse qui supporte la comparaison avec le grand-œuvre de la première période (In the Court of the Crimson King, 1969) et celui de la troisième (Discipline, 1981). Et, Croyez-moi, ce n'est pas rien !
En l'occurrence, pour ce qui est de la partie audio de cette édition commémorant le 40ème anniversaire des débuts du groupe, le travail de (re)mise en son ne pouvait pas être aussi impressionnant qu'il l'avait été sur In the Court (où on revenait de très loin, il est vrai). N'empêche, quelle Rolls, ce machin ! Comparé à la précédente génération de remasters (2001) et encore plus à une première édition cd franchement pas recommandable (1989), les améliorations sont légion : dans la dynamique, dans l'étendu du spectre (rendant d'autant plus identifiable chaque finesse d'une interprétation qui n'en manque pas) et, généralement, une clarté et chaleur sonore augmentée ô combien bienvenue. Evidemment, l'album gagnera à être écouté sur un équipement digne de ce nom pour un plein rendu de son énorme potentiel.
Pour ce qui est de la musique même, pas besoin de faire l'article, les 5 compositions ici présentes - où se télescopent esprit jazz et prog symphonique précis et puissant dans un ensemble d'une cohérente beauté à couper le souffle - parleront d'elles-mêmes. En bonus, nous sont offertes 2 outtakes intéressantes car présentant des versions plus dépouillées que celles de l'album et qui épatent par leur admirable puissance et tenue même ainsi dénudées de leurs fioritures, et une version complète de Providence (déjà disponible sur le coffret The Great Deceiver mais un live de suprème qualité tout de même), c'est peu mais c'est bon alors on s'en contentera. Peu ou prou la même chose (dont l'album en version 5.1, énorme ceci dit en passant, en plus de la version stéréo classique) et quelques bonus vidéo (son mono !) qui ont plus qualité de document que de révélation, captation ancienne oblige. On prend quand même, pour ne pas gâcher (d'autant que - cococrico ! - ce sont des documents de l'ORTF)...
In fine, un remaster de qualité supérieure suffit de faire de cette édition celle de référence, celle que les fans comme les nouveaux arrivants se devront de posséder pour pleinement vivre et jouir de l'expérience Red, album extraordinaire d'une formation ne l'étant pas moins. Indispensable, quoi.

1. Red 6:16
2. Fallen Angel 6:02
3. One More Red Nightmare 7:07
4. Providence 8:09
5. Starless 12:16
Bonus
6. Red (pre-overdub trio version) 6:27
7. Fallen Angel (pre-overdub trio version instrumental) 6:26
8. Providence (full live version) 10:08

Robert Fripp – guitar, mellotron
John Wetton – bass, vocals, lyrics on "One More Red Nightmare" and "Starless"
Bill Bruford – drums, percussion
&
David Cross
– violin on "Providence"
Mel Collins – soprano saxophone on "Starless"
Ian McDonald – alto saxophone on "One More Red Nightmare" and "Starless"
Mark Charig – cornet on "Fallen Angel", bass cello on "Red"
Robin Miller – oboe on "Fallen Angel"
Richard Palmer-James – lyrics on "Fallen Angel" and "Starless"

KING CRIMSON (1974)

1975
Mike Oldfield "Ommadawn"
ou "Redécollage Immédiat"

Si Tubular Bells a établi Mike Oldfield comme un nom qui compte dans la galaxie progressive, c'est bel et bien avec Ommadawn que le taciturne britannique confirme tout le bien qu'on avait envie de dire de lui mais qu'un Hergest Ridge trop maladroit et hésitant nous avait empêché de pleinement vocaliser. Mais plus là, là Mike Oldfield reprend son envol, et c'est beau.
Pourtant il y a de la concurrence avec un Tubular Bells orchestral arrangé par David Bedford très réussi sorti quelques mois plus tôt, juste histoire pour Richard Branson de mettre la pression sur son poulain tout en pressant bien le fruit qui a lancé son label ? Tout est possible mais Mike en est tout de même le coproducteur, donc...
Comme d'habitude, chaque face de l'album comprend une unique piste dédiée à l'épopée de choix du natif de Reading, Berkshire. Comme d'habitude, Oldfield y fait montre de son extrême polyvalence instrumentale, en gros tout ce qui a des cordes ou un clavier lui est réservé, en plus de quelques percussion dont les emblématiques cloches tubulaires. Ce qui change ? Qu'Oldfield y est seul maître à bord, débarrassé de toute aide quant à la mise en son. Que de nouvelles influences, africaines principalement, viennent enrichir son cocktail progressif planant de parfums qui lui vont bien au teint. Que Mike y a réuni un casting additionnel encore plus développé et diversifié que pour ses précédentes créations, aidant d'autant à l'élargissement de son spectre stylistique (on pense en particulier à l'ensemble percussif Jabula). Le résultat est une œuvre passionnante, un voyage à la fois éthéré et terrestre, comme de planer juste au-dessus du monde. Et ce n'est pas la petite chanson cachée, On Horseback, petite douceur acoustique sur la joie de chevaucher, qui viendra gâcher la fête, au contraire, charmante miniature (selon les critères du compositeur), elle apporte un ultime vent de fraicheur, une apte conclusion au voyage. Même les bonus du bon remaster, Mike aux commandes évidemment !, valent le coup, dingue ça ! In Dulce Jubilo est une petite pièce instrumentale entre celtisme et classique qui fonctionne merveilleusement, et les trois suivants,  le planant First Excursion, le pastoral Argiers et l'entrainant Portsmouth permettent de joliment prolonger l'expérience.
Pour mémoire, Oldfield n'avait alors que 23 ans, sortait son déjà troisième album, pas étonnant qu'il ait ensuite eu besoin de prendre un break avant de revenir, en 1978. Ce qu'il nous avait laissé dans ce premier "run" (oui, même Hergest Ridge) était suffisamment riche pour "tenir". D'ailleurs, pour ce qui est des plus réussis, celui qu'on ne nomme plus et cet Ommadawn, ils n'ont toujours pas pris une ride et sont toujours aussi recommandés aux amateurs de progressisme trippant d'exception.

1. Ommadawn, Part One 19:23
2. Ommadawn, Part Two/On Horseback 17:25
Bonus
3. In Dulce Jubilo 2:52
4. First Excursion 5:54
5. Argiers 3:59
6. Portsmouth 2:01

Mike Oldfield – guitars (acoustic, classical, electric, steel, twelve-string, acoustic bass and electric bass), banjo, bouzouki, bodhrán, electronic organs, glockenspiel, harp, mandolin, percussion, tubular bells, piano, spinet, synthesiser and vocals.
&
Herbie
– Northumbrian bagpipes (unused on the final album)
Don Blakeson – trumpet
The Hereford City Band, conducted by Leslie Penning – brass
Jabula (Julian Bahula, Ernest Mothle, Lucky Ranku, Eddie Tatane) – African drums
Pierre Moerlen – timpani
Paddy Moloney – uilleann pipes
William Murray – percussion
Sally Oldfield – vocals
Terry Oldfield – panpipes
Leslie Penning – recorders
"The Penrhos Kids" (Abigail, Briony, Ivan and Jason Griffiths) – vocals (on "On Horseback")
Clodagh Simonds – vocals
Bridget St John – vocals
David Strange – cello

MIKE OLDFIELD (1975)

1976
Van der Graaf Generator "World Record"
ou "Champions du Monde !"

Dans la riche discographie des progueux de Van der Graaf Generator, il y a un album qui a une place tout à fait à part dans mon caeur d'amoureux de la musique. Peut-être parce qu'il fut mon premier, peut-être parce qu'il pousse les limites du son de VdGG encore un peu plus loin, aussi... Voici World Record !
Je sais que beaucoup considèrent ce chapitre final de la trilogie commencée avec Godbluff et Still Life comme un album presque mineur dans la prodigieuse carrière du groupe, avis que je me permets de ne pas partager et je m'en vais immédiatement vous expliquer pourquoi :
1 - 5 compositions, 5 bombes !
Du presque punkoïde When She Comes (écoutez donc la rage du chant d'Hammill !) au quasi-grégorien Wondering (une cathédrale de prog ou du prog de cathédrale) qui clos l'album en passant par le groovy/jazzy sorties de routes incluses et contrôlées A Place to Survive ou l'épique, fleuve et souvent surprenant Meurglys III et ses 21 minutes, c'est un festin de tous les instants. Allez, si vous me poussez, j'avouerais aimer un tout petit peu moins Masks qui reste cependant une excellent composition.
2 - Une démarche unique
Nous ne sommes ni dans les explorations quasi-symphoniques d'un Yes, ni dans la précision clinico-technique d'un King Crimson, et encore moins dans la galaxie proggopopiste Génésienne. Non ! VdGG s'impose comme un esprit libre ce qui valut au groupe - alors que détruire du dinosaure était à la mode - le respect des punks originels et de toutes les jeunes pousses « up and coming » qui suivent depuis et ont croisé la route de ces vaillants hallucinés. Vraiment, VdGG est un cas unique... Un peu au prog ce que Motörhead est au metal, un truc qui dépasse les clivages et les intérêts boutiquiers. Avec, en supplément de luxe, la plume si fine d'Hammill, un des plus grands paroliers de langue anglaise, osons !
3 - Un remaster de qualité
Ni trop loud (vous savez, trop de basse, trop de volume) ni trop nettoyé - on reste dans l'esprit de la production d'origine - World Record se présente dans une version optimisée. Le son est clair mais reste rugueux (c'est un peu la trademark du groupe avec l'orgue épais et le sax écorché), et ne souffre pas d'une digitalisation qui lui aurait fait perdre sa chaleur... Juste ce qui convient à pareille musique. Et deux bonus, du John Peel Show, où VdGG apparait comme la formation transitoire idéale (et même prospective) entre ce rock d'hier et ce son de demain que professe alors le fameux DJ, en pleine explosion punk.
Vous l'aurez compris, si vous ne connaissez pas encore cet album ou si vous l'aviez démis un peu hâtivement, je vous exhorte de lui redonner sa chance, le bonheur est au bout du chemin !

1. When She Comes 8:02
2. A Place to Survive 10:05
3. Masks 7:01
4. Meurglys III (The Songwriter's Guild) 20:50
5. Wondering 6:33
Bonus
BBC Radio One "The John Peel Show", 11 November 1976
6. When She Comes 8:13
7. Masks 7:23

Peter Hammill – vocals, guitar, piano
David Jackson – saxophone, flute
Hugh Banton – organ, Mellotron
Guy Evans – drums, percussion, cymbal

VAN DER GRAAF GENERATOR (1976)

1977
Pink Floyd "Animals"
ou "La ferme !"

Le meilleur Pink Floyd ? Certains qui préfèrent la période Barrett citeront le pécher originel, Piper at the Gates of Dawn, d'autres plus proches de la trippante et décontractée période 70s pencheront pour Dark Side of the Moon ou Wish You Were Here, d'autres, enfin, sans doute amateurs de concept albums choisiront The Wall. Rares sont ceux qui citent Animals, et pourtant, quel album !
Peut-être parce qu'il est moins facilement appréhendable que ses concurrents au trône, Animals, plus progressif qu'aucun devancier ou successeur, ce qui lui vaut d'ailleurs les généreux suffrages de la communauté prog, a toujours eu des allures de parent pauvre, de celui qu'on aime tout de même mais qu'on oublie trop souvent.
Pourtant, dès sa marquante pochette (la centrale de Battersea survolée par un cochon de baudruche), c'est une démonstration d'un groupe au pic de sa puissance créatrice. Compositionnellement dominé par Roger Waters (ça deviendra l'habitude jusqu'à son départ du groupe en 1985) qui ne cède qu'un co-crédit à son collègue Gilmour (Dogs), mais c'est une première ici, c'est un album sombre et étrange, adaptation libre de l'Animal Farm de George Orwell, précurseur aussi, sans les longueurs et les lourdeurs, d'un nihiliste The Wall, où chaque musiciens trouve sa place participant au tissage de l'inquiétante toile qui nous est proposée.
Certes, les amateurs de Richard Wright regretteront que ces claviers soient ici essentiellement des créateurs d'ambiances, des machines à texturer (en l'occurrence, c'est exactement ce qu'il fallait) le son Pink Floyd n'en est pas pour autant radicalement altéré ne serait-ce que par l'omniprésence de la scintillante guitare de David Gilmour. Certes, l'absence de quelque vraie chanson que ce soit déconcertera ceux qui avaient fait de Money, Time, Welcome to the Machine ou Wish You Were Here leurs moments préférés du catalogue des londoniens mais, des grandes épopées (Dogs, Pigs, Sheep) aux deux miniatures d'ouverture et de fermeture de l'opus (les deux Pigs on the Wing), il y a largement de quoi s'esbaudir devant tant de maîtrise, tant de talent, tant d'imagination, et une si totale cohérence d'ensemble qu'il est aisé de se laisser emporter dans le noir trip de Waters.
Pour toutes ces raisons, mais aussi pour l'impeccable mise en son fomentée par le groupe lui-même, ce 10ème opus de Pink Floyd mérite largement sa place au panthéon des œuvres progressives et conceptuelles qui comptent, un plus qu'un accessit dans le bilan des œuvres d'une formation, à raison, toujours révérée aujourd'hui.

1. Pigs on the Wing 1 1:25
2. Dogs 17:03
3. Pigs (Three Different Ones) 11:25
4. Sheep 10:25
5. Pigs on the Wing 2 1:23

David Gilmour - lead guitar, vocals on "Dogs", bass guitar on "Pigs (Three Different Ones)" and "Sheep", talkbox on "Pigs (Three Different Ones)", acoustic guitar on "Dogs", additional backing vocals
Nick Mason - drums, percussion, tape effects
Roger Waters - lead vocals, acoustic guitar on "Pigs on the Wing", rhythm guitar on "Pigs (Three Different Ones)" and "Sheep", tape effects, vocoder, bass guitar on "Dogs"
Richard Wright - Hammond organ, electric piano, Minimoog, ARP string synthesizer, piano, clavinet, backing vocals on "Dogs"

PINK FLOYD (1977)

1978
Rush "Hemispheres"
ou "Canada, aussi !"

De l'avis général, il y a trois grands classiques de Rush : 2112 avec sa face conceptuelle si marquante, Moving Pictures et son intelligente adaptation aux naissantes années 80 et, bien sûr, Hemispheres et son triomphe progressif total.
Et nous sommes donc en 1978, année où les dinosaures des 70s commencent à plier les gaules alors que, d'Angleterre aux Etats-Unis, explose une vague à l'opposé des préoccupations musicales extravagantes du trio : le punk. Rush n'en a cure et, dans l'absolue continuation de ce qu'il avait entrepris sur un excellent A Farewell to Kings, continue de creuser le sillon progressif où ils s'est petit à petit installé depuis l'arrivée de Neil Peart en tant que batteur d'abord et parolier ensuite, et du fait de l'intérêt sans cesse grandissant du bassiste/chanteur Geddy Lee pour les synthétiseurs. Se retrouvant en studio avec quelques idées mais rien de totalement défini, Rush entreprend de pousser encore un peu plus la précieuse construction de compositions longues compositions à tiroir sur ce qui demeurera leur exemple le plus poussé du genre.
Ne comprenant que 4 titres, Hemispheres débute par la suite du dernier morceau de A Farewell to Kings, Cygnus X-1 Book I: The Voyage. Cette fois, la composition, Cygnus X-1 Book II: Hemispheres , prend toute la première face et 18 minutes, 18 minutes où le trio démontre qu'il sait merveilleusement tailler une composition complexe, sinueuse, technique mais toujours mélodique qui dépasse même, en qualité, un 2112 de nos jours pourtant beaucoup plus souvent loué. On retourne la galette et tombe sur, premièrement, un petit morceau rock-hard qui n'a l'air de rien mais dont la mélodie reste longtemps gravé dans les neurones, encore plus quand, francophone, on y entend une rare occurrence dans la langue de Molière (plus ça change, plus c'est la même chose chante Geddy sur  ce Circumstances), deuxièmement, une jolie composition nuancée, d'un démarrage acoustique en un brillant crescendo électrique, au texte intelligent (ha, ce Peart, quel parolier !), et à la mélodie accrocheuse qui prouve qu'on peut être progressif sans faire dans la longueur, un autre style que Cygnus II, pas moins valide ou opportun. Mais le clou de cette face B est, évidemment !, La Villa Strangiato qui, pour bien porter son sous-titre (an exercise in self-indulgence) n'en est pas moins une impressionnante, addictive composition, et un instrumental !, ce qui plaira à ceux qui goûtent peu aux aigus de Mr. Lee. Si chacun des trois musiciens y brille, on notera plus particulièrement la performance d'Alex Lifeson, guitariste fin, mélodique et polyvalent qui s'y impose comme l'authentique guitar-hero qu'il est. Ca ne retire bien sûr rien à la performance de ses collègues qui, à la basse ou au clavier pour Geddy, à la batterie pour Neil, sont impressionnantes de créativité et de maîtrise sur ce qui demeure, avec YYZ sur Moving Pictures, le plus bel instrumental de la carrière des trois canadiens.
Dès l'album suivant, le d'ailleurs très réussi Permanent Waves, sans doute parce qu'ils sentent le vent tourner, plus assurément parce qu'ils sont dans l'air du temps, les trois de Rush commenceront l'adaptation de leur rock progressif vers les nouveaux canons qu'il contribueront d'ailleurs à établir. Reste qu'en 1978, loin des soubresauts révolutionnaires, toujours soutenus par une fidèle fan-base et ainsi capable de passer le tsunami punk sans difficulté, Rush est un des tous meilleurs groupes de rock progressif qu'il ait jamais été donné d'ouïr, et Hemispheres un de leurs tous meilleurs albums et indéniablement leur plus réussi dans la veine progressive. Indispensable ? C'est le mot.

1. Cygnus X-1 Book II: Hemispheres 18:08
2. Circumstances 3:42
3. The Trees 4:46
4. La Villa Strangiato (An Exercise in Self-Indulgence) 9:35

Geddy Lee - vocals, bass guitar, Oberheim polyphonic, Minimoog, Moog Taurus pedals
Alex Lifeson - electric and acoustic guitars, classical guitar, guitar synthesizer, Moog Taurus pedals
Neil Peart - drums, orchestra bells, bell tree, timpani, gong, cowbells, temple blocks, wind chimes, crotales

RUSH (1978)

1979
Univers Zero "Heresie"
ou "Sombre Belgique"

Des belges qui font peur ! Parce que, dans leur définition sombre et hantée du rock progressif, nos amis d'outre-Quiévrain n'ont pas leur pareil pour construire d'angoissantes beautés, comme sur leur seconde création, le fascinant Heresie.
Univers Zero, fondé en 1974 par le batteur Daniel Denis et le trompetiste Claude Deron sous le lovecraftien patronyme de Necronomicon, a certes des atours des français de Magma (dont il accepte d'ailleurs l'influence) mais aussi une vraie personnalité qui le voit souvent glisser vers la musique contemporaine, en particulier Stravinsky. Présentement, en seulement trois titres (trois épopées, plutôt, vu leur impressionnant format), trois compositions à glacer les sangs où les cinq musiciens n'en font pas plus que nécessaire pour construire leur impressionnants climats, où la maîtrise est instrumentale indéniable d'authentiques virtuoses n'est jamais vainement mise en avant. Dans les faits, ça nous donne déjà La Faulx, le plus Magma du lot du fait des vocalistes "vanderiennes" de Guy Segers, et ses 25 minutes commençant dans l'abstraction puis, comme si le groupe sortait d'un épais brouillard pour construire un magistrale et sombre crescendo où violon, batterie tribale, voix possédée avant que le climat ne s'apaise en une belle mélodie nous emmenant vers un final éthéré mais encore tendu en forme de progressif retour vers la réalité. Enorme ! Après ce monstrueux "machin", Jack the Ripper et Vous le Saurez en Temps Voulu auraient presque des allures de normalité mais, encore grandement infusés des précieuses sorties de routes, des détours harmoniques, des polyrythmies imaginatives, il s'y passe toujours quelque chose. On y remarque en particulier l'immense talent d'un Patrick Hanappier, violoniste/violiste de son état, contribuant idéalement aux climats tendus comme élégiaques.
Parfaitement mis en son, ça pulse, ça gronde, ça grince mais jamais ça n'agresse le tympan délicat, Heresie est probablement l'œuvre la plus fantastiquement renversante de ses créateurs (ce qui n'est pas peu dire vu la qualité de leur catalogue où 1313, Uzed et Clivages sont également essentiels), une galette comme on n'en croise hélas pas assez souvent et qui, plus de 35 ans après sa sortie, continue d'épater jusqu'aux jeunes pousses clientes des nouvelles tendances de musiques sombres. Fort, très fort.

1. La Faulx 25:18
2. Jack the Ripper 13:29
3. Vous le saurez en temps voulu 12:56
Bonus
4. Chaos Hermétique 11:51

Roger Trigaux: guitar, piano, organ, harmonium
Guy Segers: bass, voice
Michel Berckmans: oboe, bassoon
Patrick Hanappier: violin, viola
Daniel Denis: drums, percussion

UNIVERS ZERO (1979)