samedi 29 mars 2014

Films noirs [ZornWeek#6]

John Zorn "Spillane" (1988)
ou "Original Gangster"


     Spillane, c'est évidemment l'hommage à l'auteur noir Mickey Spillane, c'est aussi une étude de la guitare blues d'Albert Collins (Two-Line Highway), c'est en plus un quatuor à cordes mutant composé pour l'acteur japonais disparu Ishihara Yujiro (Forbidden Fruit), c'est surtout le second triomphe (presque) grand public après son hommage à Ennio Morricone (The Big Gundown), le premier de sa propre plume, donc.
 
     Formellement, nous sommes dans les compositions "par cartes", soit des sessions dirigées par Zorn où il sélectionne la boucle et le mood qu'il souhaite et l'inscrit sur des cartes qui sont, in situ, proposées aux musiciens. Une forme interactive de performance où la part des instrumentistes est d'autant plus essentielle qu'elle est ouverte à leur propre interprétation, à leur personnalité musicale. Concrètement, il y a donc 3 pièces, 3 formations aussi.
     Spillane ouvre le bal. Entre illustration sonore de film noir presque classique et passage plus ambiants où interviennent des extraits de l'œuvre de l'auteur hommagé (des romans de Mike Hammer) dits par John Lurie et Robert Quine, c'est une pièce aussi avant-gardiste que filmique. D'une ambiance à l'autre, tout se tient dans ces 25 minutes qui nous entraînent du jazz le plus lounge, du rock bluesy le plus réaliste, à des élans évidemment plus bizarroïdes. Pas exactement immédiat mais plutôt facile d'accès, c'est une composition importante dans le parcours de Zorn qui y reviendra d'ailleurs quelques années plus tard sur The Bribe.
     Sur Two-Lane Highway, clairement, la star est la guitare d'Albert Collins pour ce qu'on peut considérer comme un blues poussé dans ses retranchements arty sans y perdre sa substance bleue pour autant. En deux parties, la première plus électrique, la seconde plus éthérée, Zorn s'efface quasiment cédant bien volontiers la place à son invité de marque. Quand on connaît la vivacité, la classe et la qualité émotionnelle du jeu de Mister Collins, on sait qu'on va tomber sur du feu... Et c'en est ! Du bon blues intelligent, prospectif mais du bon blues avant tout. Ca fait de la présente pièce la plus immédiatement séduisante de la sélection, et une vraie belle réussite en plus de la surprise d'entendre Zorn proposer quelque chose de si éloigné de ce qu'il a fait jusque-là.
     Final de l'album, portion la plus expérimentale aussi, partition la plus alien du lot sans doute, Forbidden Fruit n'est pas à mettre dans toutes les oreilles. Doté d'un quatuor à cordes (l'internationalement célébré Kronos Quartet), de platines et d'une voix tour à tour récitative ou chantée, c'est, assez typiquement pour Zorn, une succession de chaos et de douceur, de bruit et de mélodie où l'on peut aussi bien croiser Merzbow que Jean-Sébastien Bach. Certainement pas facile mais tout à fait passionnant et réussi.
 
     Trois pièces, trois succès. Nonesuch, puisque Zorn n'a pas encore lancé sa propre maison (Tzadik), put se féliciter de l'aubaine, de l'offrande qui, plus de deux décennies plus tard, demeure une des œuvres les plus importantes de Zorn, un de ses plus réjouissantes, aussi, c'est dire si on recommande !
 

1. Spillane 25:12
2. Two-Lane Highway
2a. Preacher Man - White Line Fever - Nacogdoches Gumbo - East Texas Freezeout - San Angelo Release - Roliin' To Killeen - Blowout - Devil's Highway - Midnight Standoff - Marchin' For Abilene 13:30
2b. Hico Killer - Long Mile To Houston 4:46
3. Forbidden Fruit (Variations For Voice, String Quartet And Turntables) 10:20

- Spillane
Anthony Coleman - piano, orgue électrique, celesta
Carol Emanuel - harpe
Bill Frisell - guitar
David Hofstra - basse, tuba
Bob James - bandes, cds
Bobby Previte - batterie, percussion
Jim Staley - trombone
David Weinstein - échantillonnage, claviers électroniques
John Zorn - saxophone alto, clarinette
John Lurie - voix de Mike Hammer
Robert Quine - voix de la conscience de Mike Hammer
- Two-Lane Highway
Albert Collins - guitare, voix
Robert Quine - guitare
Big John Patton - orgue électrique
Wayne Horvitz - piano, claviers électroniques
Melvin Gibbs - basse
Ronald Shannon Jackson - batterie
Bobby Previte - batterie, percussion
- Forbidden Fruit
Kronos Quartet
David Harrington - violon
John Sherba - violon
Hank Dutt - alto
Joan Jeanrenaud - violoncelle
Christian Marclay - platines
Ohta Miromi - voix



John Zorn "The Bribe" (1998)
ou "Plus qu'un remake"


     The Bribe: Extensions and Variations on Spillane, propose exactement ce que son titre laisse supposer, des variations et des extensions de la composition hommage à l'auteur de romans noirs Mickey Spillane sur l'album éponyme paru chez Nonesuch et repris plus tard, sans ses deux compagnons d'époque sur le Godard/Spillane paru chez Tzadik.
 
     Extensions et variations parce que le matériau ici déployé provient des mêmes sessions que le montage qui avait en été fait et livré au monde. Pas de surprise sur le style donc, entre lounge jazz classieux, saillies avant-jazz contemporaines, d'ambient spirituel et chaos sonique contrôlé (en gros tout ce qui plait sert et doit s'intégrer d'étrangetés electro à des attaques blues, surf rock, etc.), c'est toujours ce grand huit musical imprévisible et ludique où l'auditeur est baladé d'attraction en attraction, chahuté puis choyé puis chahuté encore par un compositeur et une équipe de musiciens en totale liberté.
     Les musiciens, parlons-en ! Parce qu'il y a du beau monde ici ! Tout le gotha de la scène de Downtown New York City est là, du pianiste Anthony Coleman, du présentement organiste Wayne Horvitz, des excellentes harpistes Zeena Parkins et Carol Emanuel, du caméléonesque guitariste Robert Quine, à la vieille copine Ikue Mori (une addition par rapport à la composition d'origine), c'est un festival d'instrumentistes doués et dévoués à servir leur hôte de la circonstance, et qui le font admirablement bien, forcément.
     La différence avec Spillane ? La disparition des voix, un caractère plus éclaté puisqu'en lieu et place du cut & paste, on se retrouve avec un enchainement de pistes à priori disjointes. A priori seulement, parce que tout ceci, originellement ré-imaginé de la sorte pour une pièce radiophonique du Mabou Times Theatre dont le dialogue est ici absent, ne doit pas être pris autrement qu'une bande-son orpheline de sa moitié verbale. Ce qui n'empêche nullement de gouter à la musique, aux moult expérimentations qui manquaient à la version originale et touchent souvent le mille. Il est aussi intéressant d'entendre ce qui fut sélectionné (tout n'y est pas), comment et pourquoi il fut monté, et pourquoi le reste fut laissé de côté. C'est, enfin, la preuve que Zorn, compositeur et arrangeur plus pointilleux que ce que son immense catalogue pourrait laisser penser, eu des choix difficiles à faire. C'est d'ailleurs, sans doute, outre l'utilisation alibi précitée, la raison de la sortie sur Tzadik, tant d'années plus tard (12 ans après l'évènement !), la raison de la sortie qui, pour tardive, n'en fut pas moins un excellent moyen de dévoiler des petits machins fort sympathiques.
 
     Certainement bien plus qu'un rallongement de sauce commercialement orienté (et puis, le commerce et Tzadik, hein !), The Bribe est une belle collection d'early-Zorn où chacun trouvera son compte même si ça grince un peu de-ci de-là. Fameux, quoi !


Part 1 Sliding On The Ice 
1. Gill's Theme 2:07
2. Hydrant Of The Vogue 0:41
3. The Big Freeze 1:01
4. Meters 2:24
5. The Bridge / Cocktails 4:06
6. The Willies 1:01
7. The Taxman Cometh 1:16
8. Night Walk 1:09
9. Skit Rhesus 2:43
10. The Boxer 0:59
11. Trick Or Treat 3:22
12. The Latin Trip / Gill's Theme 3:30
Part 2 The Arrest 
13. A Taste Of Voodoo 3:20
14. Inhaling The Image 1:49
15. City Chase 3:27
16. Dreams Of The Red Chamber 11:38
17. Rash Acts 1:30
18. Chippewa 1:24
19. The Hour Of Thirteen 0:47
20. Radio Mouth / Gill's Theme 2:57
Part 3 The Art Bar 
21. Midnight Streets 3:58
22. Victoria Lake 3:12
23. Strip Central 5:26
24. Pink Limousine 9:18
25. Skyline 3:19
26. Ordinary Lies / Gill's Theme 2:04


Anthony Coleman - piano
Marty Ehrlich - anches
David Hofstra - basse
Wayne Horvitz - orgue
Christian Marclay - platines
Zeena Parkins - harpe
Bobby Previte - percussion
Robert Quine - guitare
Jim Staley - trombone
Carol Emanuel - harpe
Ikue Mori - boîtes à rythmes
Reck - guitare rythmique
John Zorn - saxophone alto

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