dimanche 17 novembre 2013

Have a Beautiful Zornday! (...et Cantatutti)

John Zorn "On the Torment of Saints, the Casting of Spells and the Evocation of the Spirits" (2013)
ou "Grace contemporaine"


Du John Zorn contemporain, du John Zorn mystique aussi, pas exactement la partie la plus abordable de l'œuvre du stakhanoviste New Yorkais mais un excellent examen des tréfonds d'un occiput dont on me murmure que la dissection ne déplairait pas à quelques neurochirurgiens parce que, tout ça part un seul homme, ce n'est définitivement pas humain.

On the Torments of Saints, the Casting of Spells and the Evocation of the Spirits (quel titre !) n'est que la 7 ou 8ème galette de l'an (selon que l'on compte le Painkiller sorti à la même date avant ou après), ce serait presque une petite année si ne s'annonçait déjà deux additions pour décembre... A 60 ans, John Zorn a encore donc la forme et l'inspiration, bonne nouvelle.

Concrètement, le présent opus se partage en 3 sections pour autant de formations.
Ca commence avec The Tempest qui porte bien son nom. Flute, clarinette et batterie, il n'en faut pas plus pour habiter cette pièce où se marient chaos et mélodie. En schématisant, on dirait que la batterie joue le tonnerre et le fracas du vent surpuissant détruisant tout, emportant tout quand les vents qui l'accompagnent jouent la pluie et les divers objets emportés par le souffle ravageur. En schématisant, donc, parce que les tourbillonnements de la flute et de la clarinette sont venteux aussi, et que la batterie, instrument trop peu utilisé en musique contemporaine conférant à la tempête dont il est question un petit quelque chose de jazzy pas désagréable, évoque à merveille le démembrement, le bringuebalement d'artefacts dépecés. Et c'est passionnant ! Epique ! Et, forcément, tumultueux. Savant et accessible à la fois, cinématique, et mélodique aussi, quoique rarement classiquement mélodique et, surtout !, jamais ennuyeux... En un mot comme en mille, formidable ! Un sommet zornien, rien de moins.
Vient ensuite All Hallows' Eve suite en 3 parties pour deux violoncelles et un violon. On y retrouve épisodiquement l'approche cartoonesque que Zorn a souvent du classique contemporain atonal pour une partition, par contre, plus austère que celles auxquelles ce traitement est habituellement réservé, en gros, si vous voulez vous marrer, il faudra repasser. Formellement, on y retrouve une de ces compositions mathématico-mystiques où Zorn se réfère autant à la sorcellerie qu'il s'intéresse à la construction comme nous l'expliquent les notes de pochettes (où comment perdre l'auditeur lambda dans des calculs de mesures en rapport à des œuvres de Webern et Schoenberg). Musicalement, sans le support (au moins mental) d'image évocatrices, le triplé de mouvements paraitra au mieux abscons, imbittable. Avec ? C'est une toute autre histoire et un sabbat inquiétant peuplé de stridences sombres et de lumières violentes.
Et finalement, The Temptations of St. Anthony, qui justifie l'usage d'un sommet de Savador Dali en illustration de couverture de l'alum, thème classique s'il en fut que Zorn traite avec la formation la plus développée du présent opus. C'est aussi l'œuvre la plus classique des trois pièces de l'album. On y retrouve une formation de chambre égrenant une série de figures dont on se doute que chacune représente une tentation de ce vieil Antoine, qui résistera ! Comme All Hallows' Eve, on regrettera l'absence d'un support visuel qui aurait indéniablement donné du corps à cette musique certes évocatrice mais un poil trop éclatée pour qu'on se laisse totalement emporter. A défaut, on peut se faire son film, si on veut, si on peut...

Toujours aussi prolifique, toujours aussi passionnant, John Zorn continue d'épater par sa capacité à toucher à tout sans jamais se perdre. C'est encore la cas dans cet On the Torments of Saints, the Casting of Spells and the Evocation of the Spirits (quel titre ! (bis)) où, si tout ne nous convainc pas également, rien ne déçoit vraiment non plus. Et puis, finalement, rien que pour le fantastique The Tempest, il devrait être impossible de s'en passer !


The Tempest
(a masque)

1. The Tempest 11:20
All Hallows' Eve
(satanic counterpoint for the witches' sabbath)

2. I - Matins 9:29
3. II - Lauds 4:09
4. III - Vespers 1:37
The Temptations of St. Anthony
(thirteen talismanic antiphons for piano and nine instruments)

5. The Temptations of St. Anthony 8:46


Jon Zorn - composition, production, direction
&
- The Tempest
International Contemporary Ensemble:
Claire Chase - flute
Joshua Rubin - clarinet, bass clarinet
Nathan Davis - drums, percussion
- All Hallows' Eve
Chris Otto - violon
David Fulmer - viola
Jay Campbell - cello
- The Temptations of St. Anthony
Fifth House Ensemble:
Melissa Snoza - flute
Crystal Hall - english horn
Jennifer Woodrum - clavinet
Karl Rzasa - bassoon
Matt Monroe - french horn
Jani Parsons - piano
Andrew Williams - violin
Clark Carruth - viola
Herine Coetzee Koschak - cello
Eric Snoza - bass


Painkiller "The Prophecy" (2013)
ou "Heavy Prophets"


Un nouveau Painkiller ! Depuis la 50th Birthday Celebration de 2005, volume 12 enregistré en septembre 2003 à l'occasion de la célébration des 50 ans de John Zorn, on était sans nouvelle de la formation, outre un concert Nancéen à l'hiver 2008 auquel quelques bienheureux eurent l'honneur et l'avantage d'assister (dont votre serviteur)...

Pour ceux qui y étaient, on se calme tout de suite, ce n'est pas de l'enregistrement de ce concert exceptionnel (avec Mike Patton et Fred Frith en plus du trio originel) dont il s'agit mais d'un audacieux montage de deux prestations, de Berlin et Varsovie en 2004 et 2005, avec cette fois, en lieu et place d'un Mick Harris (Napalm Death, Scorn, etc.) retiré des bidons, le barjotant batteur, chanteur, percussionniste de Ruins et Koenji Hyakkei, j'ai nommé Yoshida Tatsuya (rythmiquement, on ne perd pas au change, si vous voulez mon avis).

Musicalement, ce changement de line-up ne change pas grand chose et on retrouve le Painkiller mélangeant allègrement free jazz, grindcrore et dub dans un format improvisé laissant toute latitude aux expérimentations, exploits instrumentaux et débordements de sève de chacun des protagonistes Parce que, définitivement, Painkiller n'est pas un long fleuve tranquille. Certes, les passages dub et ambient, respirations salutaires de ce bouillon furieux, calment le ton, on n'en est pas moins dans ce qu'il est convenu d'appeler de la musique furieuse, sans concession.
Et donc trois pistes, Prelude et Postlude en saillies hérétiques toutes griffes dehors (le côté grind du groupe), et The Prophecy (64 minutes !) en pièce épique par excellence, enchainement de climats, immense jam dont on se dit d'abord qu'elle ne pourra être que trop longue et qui s'avère, au final, simplement jouissive. Jouissive parce que Zorn y étale toute sa palette, du hard bop à la soul en passant par le free le plus "out there", parce que Laswell y texture de son gros gros (deux fois gros, oui !) son de basse, parce que Tatsuya (l'équivalent le plus proche "in real life" de l'animal des Muppets) y bat ses peaux et cymbales comme si sa vie en dépendait, parce que ces trois musiciens ensembles, sans autre construction visible que l'évolution de leurs envies au cours de la "party", si complices et inventifs, donnent une leçon de musique improvisée "qui tripe". A tel point que, la grosse heure écoulée, on en redemanderait bien encore !

Que ce soit avec Harris, actuellement plus préoccupé par la musique électronique, ou Tatsuya (dont on conseillera jamais assez les autres travaux), Painkiller demeure un beau monstre qui manque aujourd'hui cruellement, ce que vient rappeler ce live échevelé et passionnant, et donc obligatoire !


1. Prelude 2:12
2. The Prophecy 64:53
3. Postlude 2:50
(en extrait, les dix premières minutes de The Prophecy)

Bill Laswell - bass
John Zorn - alto saxophone
Yoshida Tatsuya - drums


ET UN BONUS QUI N'A STRICTEMENT RIEN A VOIR AVEC JOHN ZORN MAIS QUE J'AVAIS ENVIE DE VOUS CASER AVANT LE GRAND JEU :

Détroit [Bertrand Cantat, Pascal Humbert] "Horizons" (2013)
ou "Horizons voisins"


Dire que le retour discographique en long-jeu de Bertrand Cantat suite à la dissolution de Noir Désir fut attendu fébrilement est indéniablement un euphémisme. Dire qu'il fut attendu, par une majorité de gens en tout cas, pour les mauvaises raisons voyeuristes que l'on sait est une évidence. Alors oui, Bertrand Cantat est un meurtrier (accidentel)... qui a payé sa dette à la société. Alors parlons plutôt de la musique de Détroit, son nouveau projet en compagnie de Pascal Humbert (Passion Fodder, 16 Horsepower, Wovenhand et Lilium) et laissons à Voici, et autres feuilles de choux du genre, les cancans et les rumeurs.

Au programme, 10 chansons, deux courts intermèdes et un "machin" planqué à la fin après un silence (Sonic 5). Et pas vraiment de surprise parce que, forcément !, Cantat fait du Cantat dans le texte, dans le style mélodique aussi. Un peu moins énervé que Noir Désir, on se calme avec l'âge, et musicalement plus aéré, Détroit n'apparait pas comme autrement que la suite logique dans le parcours du vocaliste. A titre d'exemple Ma Muse, chanson d'ouverture, se pose un peu là avec son texte péri-poétique, sa voix écorchée vive et, même, des guitares qui s'électrifient dans un crescendo final bienvenu. Aussi, on ne perd pas les bonnes habitudes, quand Cantat chante en anglais il rappelle encore et toujours Jeffrey Lee Pierce (Gun Club). Cantat est donc toujours Cantat et, de fait, s'il n'y avait certaines constructions musicales, leurs influences plus américaines et/ou tempérées, plus bricolées aussi, l'ombre de son ancienne formation en deviendrait envahissante. Présentement, c'est un fantôme duquel on comprend que Bertrand demeurera toujours indissociable tant il l'a marqué de son empreinte.

Globalement, les chansons sont bonnes, surprenantes parfois (Terre Brûlante et sa fausse monotonie, pas loin de Diabologum, Horizon et sa belle montée de sève toute en cordes, le presque robotique Sa Majesté et ses chœurs soul), confortables souvent (Ma Muse, Glitter in Your Eyes, Ange de Désolation, Droit dans le Soleil, Le Creux de ta Main en clin d'œil appuyé au rock de son passé, etc.), juste ce qu'il faut pour suffisamment brosser dans le sens du poil un auditoire en attente fébrile sans s'obliger à faire du surplace. Parce que Détroit est bien l'étape d'après, pas une révolution, une évolution. Un retour finalement tout sauf surprenant qui aurait pu suivre de près Des Visages Des Figures où, déjà, planait un autre chose plus acoustique, plus ambient. Plus adulte. Autre point commun, la présence d'une autre figure tutélaire de l'art de Cantat, Léo Ferré, avec, cette fois, non pas une adaptation d'un texte (le très réussi Des Armes) mais la très belle et musicalement surprenante reprise de l'inoxydable Avec le Temps où Cantat chante bien soutenu par une instrumentation electro-minimaliste qui, finalement, sied étrangement au teint de la chanson.
Au passage, si on louera la performance de tous les musiciens dont le nom n'apparait sur la pochette, on soulignera particulièrement l'implication de Bruno Green présent et précieux sur toutes les pistes de l'album et celle de Ion Meunier, batteur de Shaka Ponk, qui le suit de près et bat ses futs avec une vraie classe.

Bref... Fi de vaines polémiques, voici un bel album, qui plaira aux amateurs de Cantat et de feu-Noir Désir mais pas seulement, un album qui offre de nouveaux Horizons à une carrière qu'on a bien cru morte et enterrée, c'est bien là l'essentiel.

1. Ma Muse 5:02
2. Glimmer in Your Eyes 5:06
3. Terre Brûlante 3:30
4. Détroit- 1 1:30
5. Ange de Désolation 3:55
6. Horizon 5:03
7. Droit dans le Soleil 3:24
8. Détroit- 2 0:36
9. Le Creux de ta Main 3:41
10. Sa Majesté 4:23
11. Null & Void 4:35
12. Avec le Temps 4:35
13. Sonic 5 7:22


Bertrand Cantat - voix, guitare, ken, harmonica
Pascal Humbert - basse, guitare, contrebasse, beat box
Bruno Green - programmations, claviers, guitare
&
Ion Meunier - batterie (1, 2, 3, 6, 9, 11)
Frah - programmations (1)
Steve Desgarceaux - claviers (1)
Manfred Kovacic - claviers (9, 10)
Catherine Graindorge - violon alto, chœurs (2, 6, 7, 9)
Lisa Berg - violoncelle (2, 7)
Olia Ougrik - chœurs (9)
Tree Laurita Humbert - chœurs (9)
Samaha Sam - chœurs (10)

 
- N'OUBLIEZ PAS ! -
RENDEZ-VOUS DES DEMAIN POUR LE LANCEMENT DE LA 7EME EDITION DU GRAND JEU SANS FRONTIERE DES BLOGUEURS MANGEURS DE DISQUES, VENEZ NOMBREUX ASSISTER AUX EXPLOITS DE LA FINE FLEUR DE LA BLOGOSPHERE FRANCOPHONE MUSICALE !

14 commentaires:

  1. merci pour cette folie furieuse à tous les étages.

    RépondreSupprimer
  2. Je prends car bien sûr je suis fan de Noir Désir.
    J'ai beaucoup entendu parler de la polémique concernant le retour de Cantat. Je me rends bien compte qu'on marche là sur des œufs.
    Je pense que ce gars à payé sa dette à la société et qu'il est en droit de reprendre son "métier" comme tout citoyen.
    Je ne doute pas non plus une seconde qu'il continue de vivre son incarcération psychologique au plus profond de lui-même. Il porte au plus profond de son être une tache indélébile qui le suivra jusqu'à la mort… qu'on lui souhaite naturelle.
    Merci Zornie

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu sais quoi ? J'ai fait un truc que je ne fais habituellement jamais : j'ai censuré un commentaire. Ce que je ne ferai pas avec le tien qui représente exactement ce que je pense de cette malheureuse, dramatique même, affaire.
      Merci donc et n'hésite pas à venir me dire ce que tu en as pensé.

      Supprimer
    2. J'ai pris le temps de bien écouter ce disque.
      Conclusion : c'est du très, très bon. On est toujours bien dans l'atmosphère de Noir Désir, un tantinet moins rendre-dedans quand même. Un seul titre vraiment électrique : l'excellent "Le creux de ma main" où le chanteur retrouve sa rage légendaire. Le reste est constitué de chansons dans lesquelles on sent l'écorché vif au bord de l'implosion. Le triptyque "Ange de désolation / Horizon / Droit dans le soleil" constitue manifestement le cœur de l'album. Sur des accompagnements musicaux minimalistes et magnifiques, Cantat se met à nu, mais avec une pudeur romantique. Mais le chacal est toujours vivant. Il distribue quelques coups de dents sur "Sa majesté".
      Grand disque. Grand interprète. Je recommande.

      Supprimer
    3. Dans mes bras !
      Allez, je vais concéder aimer un petit peu moins Le Creux de ta Main qui fait trop Noir Désir... Ca reste cependant un bon déboulé, hein, je ne me plains pas.
      Sinon, si tu te demandes le genre de commentaire que je ne souhaitais pas voir dans mon blog, et que je pensais avoir désamorcé en expliquant que je parlais de musique, regarde celui de Joseph de Stale. Celui que j'ai viré était pire mais c'est le même esprit revanchard et droitier qui l'habitait.

      Supprimer
  3. Belles chroniques pour Zorn et Painkiller (que je n'ai pas encore eu le plaisir d'entendre). Une correction à apporter au premier : la formation sur All Hallows’ Eve est un trio violon-alto-violoncelle avec Chris Otto au violon et David Fulmer à l'alto.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pan sur le bec. Mais ça permet de comprendre pourquoi j'entendais deux violons et un violoncelle... Merci pour la précision.

      Supprimer
  4. Très bonne chronique. En gros, oublions que le gars a tué une femme avec des deux poings pour nous concentrer sur l'essentiel : ses émotions artistiques. Vous ne vous rendre même pas compte de là où vous êtes arrivés. Pathétique.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ceci est un blog de musique, pas une chronique judiciaire ou un colonne d'opinion, je parle donc de musique. Pour le reste voir le commentaire de Keith Michards.
      Et merci de rester correct à l'avenir si vous repassez par ici.

      Supprimer
  5. T'as amené la bonne nouvelle!!! Painkiller et le dernier de Mr. Z. Je reste avec le double regard de Janus.

    RépondreSupprimer
  6. Impatient d' écouter le dernier Cantat et nullement déçu
    Très bon album
    Bon retour Mr Cantat

    Fil

    RépondreSupprimer