samedi 10 mai 2014

[Une semaine en 1971] Serge en Melody

Cette semaine c'est mon anniversaire alors, chaque jour, je vous proposerai un album de mon année de naissance : 1971. Enjoie !
Et pour cette avant-dernière journée, vous êtes gâtés, du légendaire, pas moins !

Serge Gainsbourg "Histoire de Melody Nelson, édition 40ème anniversaire" (1971/2011)
ou "Project: Melody"

     Qui a dit qu'un album ambitieux devait s'étirer sur une bonne heure ? Qui a dit qu'on ne pouvait pas trousser un concept en moins de temps qu'il n'en faut à GeneYes pour conclure une intro de harpe cacaphonique et guitare tendue comme l'élastique d'un slip ? Et si il y a un artiste capable de ce rare prodige, c'est bien ce vieux grigou de Lucien Ginsburg aka Serge Gainsbourg.

     Les années soixante-dix n'ont pas encore fini de massacrer la Belle France qu'un demi-crasseux amouraché d'un ressortissante britannique commet l'irréparable viol de la Chanson Française avec une scandaleuse déliquescence psychédélico-hippie... Et qu'Est-ce que c'est bon !
     Il n'est pas, en effet, inutile de se replonger dans le contexte historique, la France post-Soixante-Huitarde de Pompompidou et Georges « Eliane, prépare la valise on rentre à la maison » Marchais. Un vieux pays Européen qui s'accroche désespérément à sa supposée splendeur passée à l'ombre d'un Général trépassé. La scène musicale, si elle bruisse de quelques « allumés » - hélas confinés à l'underground - (Ange, Magma, et quelques autres), affiche une rare morosité. Les shows de Maritie et Gilbert Carpentier font les délices du français moyen qui dit plus souvent stop qu'encore quand on le secoue dans son conformisme moutonnier.
     Et, au milieu de cet océan de bêtise normalisée, le renégat. Il n'en est pas exactement à ses premiers faits d'armes lui qui hante la scène parisienne depuis la seconde moitié des années cinquante. Il a même déjà eu des succès pour le moins sulfureux avec, évidemment, un mémorablement sexuel « Je t'aime moi non plus » en duo sensuel avec Jane, sa muse. Il n'a pas encore, cependant, fait exploser le format chanson comme il le fait sur ce divin opus. Car, oui, cet album est important, capital même, dans la carrière de Serge Gainsbourg. Si, jusque-là, il avait réservé son écriture cinématographique au Grand Ecran, justement, il franchit ici un pas décisif en la transposant sur un album de chansons.
     Et quelles chansons ! De l'épique, jazzy et psychédélique Melody d'ouverture (où la voix parlée de Serge fait merveille) ; en passant par les trois courtes mais précieuses petites pièces suivantes (Ballade, Valse, Ah !) qui s'enchainent comme dans un rêve, tout ici pointe au génie d'un artiste qui touche de si près au divin qu'il en convaincrait l'athée le plus réfractaire à vouer culte et dévotion à cette Melody si captivante.
     Bien sûr, comme c'est d'un Album Concept dont il s'agit, Serge nous compte une histoire, en l'occurrence, celle d'un homme entre deux âges et d'une lolita ingénue et perverse au destin forcément funeste. Il le fait avec toute la malice et la rouerie verbale qu'on lui connaît alors déjà. Cependant, il ne nous afflige pas ici de quelques jeux de mots téléphonés et ne cède donc pas à la facilité qui est - rappelons-le - souvent l'apanage des touts grands quand il leur prend l'envie de fainéanter (et le bougre n'a pas été le dernier dans l'exercice même si il a souvent réservé ses errances à d'autres qu'à lui-même, par folle la guêpe ! Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de ça ici. L'offrande est ciselée et précise mais - surtout ! - profondément émotionnelle et comme l'émotion (qu'il maîtrise pourtant à la perfection) n'est pas forcément la marque de fabrique la plus reconnaissable de la prose Gainsbourgienne, nous ne bouderons pas notre plaisir surtout quand textes et musique forment une si parfaite osmose.
     Révolutionnaire, cette Histoire de Melody Nelson l'est. Pas tant par le thème - qui reviendra souvent, parfois larvé, dans l'œuvre de Serge - mais bien par l'exquise variété, l'infinie richesse et l'intégrité artistique absolue d'une musique rare qui - pour appartenir indéniablement à son époque - a traversé les ans en conservant sa magie intacte, inaltérée.

Chronique Bonus:
     Les bonus audio sont constitué quasi-intégralement de prises légèrement différentes mais aussi d'un court inédit présenté en version chantée et instrumentale. Outre deux prises complètes plus longues que leurs originales (près de deux minutes pour l'inaugural Melody Nelson, une pour L'Hôtel Particulier), l'essentiel du contenu se présente sous forme d'outtakes (oui, comme on en voit souvent sur les rééditions d'albums jazz) où la prise chant diffère sensiblement (il faut cependant bien connaître l'album pour remarquer sans peine la différence). Enfin, rien qui ne permette de révolutionner l'œuvre mais un coup d'œil intéressant à la cuisine interne dans la progression d'une musique jusqu'à la version définitive présente sur l'album. L'inédit quand à lui, Melody Lit Babar, est anecdotique mais heureusement suffisamment rigolo pour ne pas trop faire tâche. Ceci dit, on comprend sans difficulté la raison de son exclusion de l'album définitif où il aurait inévitablement cassé une ambiance ô combien déterminante dans sa réussite.
     La 3ème galette plastique du package comprend un court (une quarantaine de minutes) documentaire, sorte de panégyrique pas désagréable mais où le fan hardcore n'apprendra rien. C'est tout de même un témoignage en image sympathique qui vient joliment compléter cette édition soignée même si on doute y revenir très souvent et qu'on sait avec certitude que d'autres douceurs (la version filmée de Jean-Christophe Averty par exemple) existaient... A noter aussi la présence d'une édition 5.1 dont on questionnera l'utilité l'album n'ayant pas été enregistré pour cette technologie.

     Vous l'aurez compris, cette édition Deluxe n'est pas essentielle. Elle fera avant tout plaisir aux fans mais peut aussi constituer une opportunité supplémentaire pour ceux qui n'auraient pas encore plongé dans l'univers si particulier de ce chef d'œuvre de le découvrir dans des conditions optimales.


CD 1:
l'album
1. Melody 7:34
2. Ballade de Melody Nelson 2:00
3. Valse de Melody 1:32
4. Ah ! Melody 1:46
5. L'hôtel particulier 4:08
6. En Melody 3:27
7. Cargo culte 7:37

CD 2:
les sessions de Melody Nelson
1. Melody (prise complète) 9:25
2. Ballade de Melody Nelson (prise voix alternative) 2:07
3. Valse De Melody (prise voix alternative) 1:39
4. Ah ! Melody (prise voix alternative) 1:54
5. Melody Lit Babar (version chantée) 1:03
6. Melody Lit Babar (version instrumentale) 1:11
7. L'Hôtel Particulier (prise complète, voix alternative) 5:10
8. En Melody (version violon électrique, solo complet) 3:39
9. Cargo Culte (version instrumentale) 7:44


Musiciens
Serge Gainsbourg : chant, composition, textes
Jane Birkin : voix
Alan Parker : guitare électrique
Dave Richmond, Herbie Flowers : basse
Dougie Wright (présumé) : batterie
Georges Barboteu : cor solo (piste 4)
Jean-Luc Ponty : violon solo (piste 6)
Jean-Claude Vannier : piano, orgue, harmonium, timbales
Jeunesses musicales de France : chœur

Production
Composition, orchestration, direction musicale : Jean-Claude Vannier
Prise de son guitare, basse, batterie : Marble Arch, Londres (21-23 avril 1971)
Prise de son cordes et voix : Jean-Claude Charvier
Assistant : Rémy Aucharles
Production : Jean-Claude Desmarty
Mastering : Jean-Marie Guérin
Réédition : Jean-Yves Billet

12 commentaires:

  1. Yes et Genesis aurait enregistrés des intros cacaphoniques! Je ne comprends pas cette acharnement envers ces merveilleux groupes!!!

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    1. C'est vrai, j'aurais du dire que Yes et ELP avaient enregistré des intro cacaphoniques, my mistake ! ;-)

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  2. Yes a enregistré des intros cacaphoniques, mais pas Genesis… ah non, pas Genesis !!!!!
    Encore une chronique en or pour un album du même métal.
    Que ceux qui n'ont pas ce disque sur leur étagère lèvent le doigts !!!!!

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    1. Non, pas Genesis.
      Ils ont peut-être ce disque mais peut-être pas les bonus, donc...
      Obligatoire, c'est le mot.

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    2. Je parlais de l'original, bien sûr !

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  3. Allez quoi, un petit mot pour Vannier, qui a composé en partie la musique et qui dans un autre monde aurait vu son nom près de celui de Serge... Autre monument c'est "la tête de chou"
    Je continue un peu à coincer sur "Around the bunker" mais je me soigne

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    1. Tu sais que tu m'avais déjà fait la remarque sur Vannier, en plus. Et que tu as complètement raison, il est essentiel au développement et à la réalisation d'un des plus grands chefs d'œuvres de l'histoire de la musique française enregistrée. Rendons lui donc l'hommage qu'il mérite.
      Around the Bunker, c'est un album mineur avec quelques très jolis choses et, surtout, un esprit de déconne politiquement incorrect qu'heureusement qu'il ne s'appelle pas Dieudonné. Un "petit" Gainsbourg, mais un petit Gainsbourg est souvent un immense chez les autres.

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    2. ... Par contre, "Tête de Chou.." est tellement le pendant de "Melody" que j'aurai juré Vannier dedans, mais il ne semble pas. Alors? Gainsbourg a retenu des leçons de production, car ce son n'était pas commun.

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    3. Tiens, c'est marrant mais si j'ai le même ressenti sur la forme (deux concepts albums d'exquise qualité), je suis moins d'accord sur le fond. Si Melody Nelson est blanc (influences pop, rock et psychédéliques obligent), je trouve Tête de Chou noir (avec de la funk et du reggae en background intermittent mais, surtout, une "vibe" afro-américaine.). Donc oui, le pendant mais plutôt le Yin du Yang Melody.

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  4. Tout d'abord, bon anniversaire à toi !!
    Entre "Melody Nelson" et "L'Homme à la tête de chou", mon cœur à toujours balancé. Deux chef d'oeuvre absolus de la chanson Made in France, les très rares exemples de concept-albums français réussis.
    A +

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    1. Merci.
      Et biend d'accord pour le reste même si la France n'est pas aussi nulle en concept-albums que tu le laisses penser.

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