jeudi 1 mai 2014

Les Immanquables (8/9): ProgWeek 4

Il en fallait bien deux, et deux qui ne vont pas ensemble mais décrivent finalement bien les différentes facettes que le rock progressif des années 70 était capable de prendre. Les sages avec leur petites constructions sympho-pop, les agités avec leur prog libre de flirter avec le jazz, le reggae et même le punk. Deux albums séparés de quelques mois mais de tout un monde tout en appartenant à la même scène ? C'est aussi ça la richesse du rock progressif.

Supertramp "Even in the Quietest Moments" (1977)
ou "Un Clochard aux Habits d'Etoiles"


     Détenant l'honneur discutable d'être un des plus "pop oriented" des groupes rock progressifs et assimilés des années 70 - en compagnie de Barclay James Harvest, de l'Electric Light Orchestra de Jeff Lynne et de quelques autres à l'actuelle réputation moins glorieuse (qui se souvient du teutonique Eloy pour autre chose qu'une pochette aperçue dans un bac "soldes" poussiéreux d'un disquaire d'occasion) -,  Supertramp n'a jamais eu vraiment bonne presse, malgré des albums aussi magistralement réussis que Crime of the Century (1974, le plus universellement reconnu), Breakfast in America (1979, sommet commercial doté d'une enfilade de tubes irrésistibles à en faire pâlir d'envie plus d'un) ou, puisque c'est celui qui présentement nous intéresse, Even in the Quietest Moments.
 
     Qui sort pile-poil au mauvais moment dans leur Angleterre natale. Pensez, 1977, les Clash, les Pistols, les Damned... et Supertramp. Cherchez l'intrus. Mais c'est aussi une année où Yes place son Going for the One en tête des charts britanniques pour deux semaines, comme Queen, et où Abba peut être considéré comme le triomphateur avec une pluie de tubes et un album (Arrival) qui se vent comme des petits pains chauds à une foule affamée. Ceci dit pour relativiser le choc punk qui balança tout à en croire une certaine presse. Je pouffe.
     Dans le canon de leur œuvre, c'est l'album de la relance après un Crisis? What Crisis? n'ayant pas reconduit l'exploit de Crime of the Century. Cette fois, Hogson, Davies & Cie ont retenu la leçon, fait briller leurs instruments et confectionné un délice d'album progressif accessible, mélodique ne manquant pourtant pas d'ambition. Ou d'un sens mélodique imparable, caractéristique devenue la trademark du groupe, comme démontré dès le tubesque Give a Little Bit d'ouverture, "bête" chanson pop à la mélodie s'imprimant immédiatement dans le cortex de l'auditeur, qu'il le veuille ou pas d'ailleurs. Infectieux. Et pourtant loin d'être le sommet d'un album où l'on retrouve des titres comme le magistral Fool's Ouverture et ses 11 minutes pour preuve que le rock progressif peut être mélodique et abordable à tous sans perdre une once de son ambition et construire de précieuses  mini-symphonies sans étalage d'une aptitude instrumentale virtuose, parce que si ces musiciens sont indéniablement doués ils sont surtout au service de la composition, de la mélodie, ça fait la différence. Et pas seulement sur Fool's Ouverture mais sur l'ensemble de l'opus qui bénéficie des talents de plume et de gorge complémentaires de Davies et Hogson, le jazzy soul popster et l'elfe prog/folk pour caricaturer (à peine), mais évidemment aussi de la capacité de l'ensemble du groupe, John Helliwell et son saxophone si important à l'identité sonore de Supertramp et la section rythmique discrète et efficace composée de la paire Bob Siebenberg et Dougie Thompson. à habiter, enluminer chaque instant de faconde mélodique de leur experte retenue, de leur simple grâce. Tout ceci fait d'Even in the Quietest Moments un œuvre... Tenez, ce n'est pas compliqué, au bout du compte, évoquer les highlights de l'album revient à en énumérer la tracklist... Carrément !
     Concernant la présente édition (remaster 2002), sur laquelle de nombreuses critiques ont été formulées comme quoi ce serait trop "loud" pour se conformer au goût supposé du public actuel, on dira que s'il y a en effet un peu de ça (mais pas dans la proportion excessive qui rendrait l'album écoutable de saturation), il y a aussi, surtout !, une clarté, une largeur sonore nouvellement trouvée permettant de jouir de chaque instant imprimé sur la petite galette argentée. Satisfaisant.

     En sachant remiser quelque tentative de prétention que ce soit, en se focalisant avant tout sur leurs compositions Supertramp est parvenu à se tracer un chemin qui, 30 ans après leur petite mort (le départ de Roger Hogson après lequel plus rien ne sera vraiment pareil), continue d'habiter les ondes nostalgisantes de moult station radio, et à vendre du best of en veux-tu en voilà. Et si cette persistance médiatique et commerciale ne leur alloua pas beaucoup d'amis dans la presse musicale, dans une certaine intelligentsia du bon goût musical du moment, elle leur apportât une gloire et un retentissement populaire toujours pas démenti qui, qui plus est, à l'écoute aléatoire d'un de leurs plus fameux opus (cet Even in the Quietest Moment, par exemple), sont largement mérités. 


1. Give a Little Bit 4:13
2. Lover Boy 6:49
3. Even in the Quietest Moments 6:31
4. Downstream 4:04
5. Babaji 4:51
6. From Now On 6:21
7. Fool's Overture 10:52


Rick Davies – keyboards, vocals
John Helliwell – saxophones, vocals, clarinet, melodica on "From Now On"
Roger Hodgson – guitars, keyboards, vocals
Bob Siebenberg – percussion, drums
Dougie Thomson – bass
&
Gary Mielke
– Oberheim programming


Van der Graaf Generator "World Record" (1976)
ou "le bonheur est au bout du chemin"


     Dans la riche discographie des progueux de Van der Graaf Generator, il y a un album qui a une place tout à fait à part dans mon cœur d'amoureux de la musique. Peut-être parce qu'il fut mon premier, peut-être parce qu'il pousse les limites du son de VdGG encore un peu plus loin, aussi... Voici World Record !
 
     Je sais que beaucoup considèrent ce chapitre final de la trilogie commencée avec Godbluff et Still Life comme un album presque mineur dans la prodigieuse carrière du groupe, avis que je me permets de ne pas partager et je m'en vais immédiatement vous expliquer pourquoi :
     1 - 5 compositions, 5 bombes !
Du presque punkoïde When She Comes (écoutez donc la rage du chant d'Hammill !) au quasi-grégorien Wondering (une cathédrale de prog ou du prog de cathédrale) qui clos l'album en passant par le groovy/jazzy sorties de routes incluses et contrôlées A Place to Survive ou l'épique, fleuve et souvent surprenant Meurglys III et ses 21 minutes, c'est un festin de tous les instants. Allez, si vous me poussez, j'avouerais aimer un tout petit peu moins Masks qui reste cependant une excellent composition.
     2 - Une démarche unique
Nous ne sommes ni dans les explorations quasi-symphoniques d'un Yes, ni dans la précision clinico-technique d'un King Crimson, et encore moins dans la galaxie proggopopiste Génésienne. Non ! VdGG s'impose comme un esprit libre ce qui valut au groupe - alors que détruire du dinosaure était à la mode - le respect des punks originels et de toutes les jeunes pousses « up and coming » qui suivent depuis et ont croisé la route de ces vaillants hallucinés. Vraiment, VdGG est un cas unique... Un peu au prog ce que Motörhead est au metal, un truc qui dépasse les clivages et les intérêts boutiquiers. Avec, en supplément de luxe, la plume si fine d'Hammill, un des plus grands paroliers de langue anglaise, osons !
     3 - Un remaster de qualité
Ni trop loud (vous savez, trop de basse, trop de volume) ni trop nettoyé - on reste dans l'esprit de la production d'origine - World Record se présente dans une version optimisée. Le son est clair mais reste rugueux (c'est un peu la trademark du groupe avec l'orgue épais et le sax écorché), et ne souffre pas d'une digitalisation qui lui aurait fait perdre sa chaleur... Juste ce qui convient à pareille musique. Et deux bonus, du John Peel Show, où VdGG apparaît comme la formation transitoire idéale (et même prospective) entre ce rock d'hier et ce son de demain que professe alors le fameux DJ, en pleine explosion punk.
 
     Vous l'aurez compris, si vous ne connaissez pas encore cet album ou si vous l'aviez démis un peu hâtivement, je vous exhorte de lui redonner sa chance, le bonheur est au bout du chemin !
 
 
1. When She Comes 8:02
2. A Place to Survive 10:05
3. Masks 7:01
4. Meurglys III (The Songwriter's Guild) 20:50
5. Wondering 6:33
bonus tracks
BBC Radio One "The John Peel Show", 11 November 1976
6. When She Comes 8:13
7. Masks 7:23


Peter Hammill: chant, guitare, piano
Hugh Banton: orgue, bass pedals, basse, mellotron, piano
Guy Evans: batterie, percussions
David Jackson: saxophone, flute

8 commentaires:

  1. Supertramp, le groupe qu'on a (re)découvert avec Breakfast in America, mais qui avait déjà quelques heures de vol au compteur ! C'est un groupe qui a su mettre le rock/pop progressif à la portée d'un public "populaire". Ainsi, sans doute, se sont-ils privés d'un public plus exigeant, mais ils ont gagné un énorme capital sympathie.

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  2. Rhhoo, les clochards, comme j'aime les voir apparaitre sur la toile.. j'écoute tjrs avec le même plaisir. Gamin, je n'avais que ce trio Supertramp/Floyd/BJH. Celui-là, et le parasol jaune est le cœur, mes préférés, un peu comme Atom/Meddle.

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    1. Je suis venu sur le tard à Supertramp. Mon prog à moi c'était plus Genesis, Yes, King Crimson et Van der Graaf Generator... J'écoute moins Yes désormais (d'autres ont pris la place), les trois autres restent des valeurs essentielles pour moi.

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  3. Ah tiens, quand je pense que je me suis fait bananer quand je disais qu'un temps le Prog' était mainstream ...
    J'ai jamais aimé Supertramp et pour une fois je sais vraiment de quoi je parle, tellement on les entendait partout ceux-là !
    Ah et puis j'ai trouvé l'intrus : c'est les Clash.
    (Sinon tu aurais certainement écrit Le Clash.)

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    1. Le prog peut être commercial, mélodique, violent, chaotique, symphonique, bordélique, drôle, folkisant... etc. On peut ne jamais sortir du prog (j'en connais !) et avoir une vie musicale tout à fait satisfaisante... Alors que le punk, ça limite déjà nettement plus !
      Et non, l'intrus était évidemment les Pistols assexués, le plus marketing des quatre !

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  4. Le long titre "Meurglys..." est un de mes favoris que j'accroche volontier avec les longs et beaux moments partagés avec les guitares de Neil Young, Page & co... Ben oui.

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    1. Enorme Meurglys, et pas seulement pas sa longueur... J'adore le break reggae totalement impromptu mais qui colle finalement si bien, a été si finement amené.. Mais il y a When She Comes et le chant de Peter sur icelui, ça botte le cul de Meurglys !

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